Rigoletto, Bastille, 28/10/2008

Publié le par Friedmund

 

Je gardais un souvenir détestable de la mise en scène de Jérôme Savary que je n’avais plus vue depuis une éternité. A la revoir ce soir, je finis par penser qu’elle est simplement médiocre et vulgaire ; ce qui fait déjà beaucoup me direz-vous. Ces bâtisses médiévales en ruines entendent sans doute nous signifier la déchéance morale de la Mantoue du livret. Allons donc ! Je note surtout pour ma part la trivialité d’un propos scénique qui ne nous épargne rien. En vrac : la tête de mort géante et les joyeux acrobates de la fête ducale, Mademoiselle de Monterone se faisant peloter par sa Seigneurie devant papa en colère, les courtisans qui narrent leur méfait en mimant tous de concert une montée d’échelle, la vue plongeante sur le lit du Duc pour ceux qui n’auraient pas compris, ce même Duc qui se dépoile pour revêtir sa robe de chambre lors de sa cabalette, Monterone qui attrape cette même robe de chambre et l’apporte au devant de la scène avant d’aller se faire décoller, Maddalena gaiement à califourchon sur son bel zerbino… et ainsi de suite jusqu’à l’écoeurement. Consternant. Pour le reste, les chanteurs sont abandonnés à eux-mêmes, et il est tout de même étonnant de voir que les moments théâtraux les plus capitaux (l’enlèvement de Gilda, la rage puis la supplique de Rigoletto face aux courtisans, les deux apparitions de Monterone) passent sur scène insignifiants, sans aucune plus value apparente du metteur en scène. Bref, du toc, même pas chic, et encore moins choc.

 

Peu importe après tout, puisque ma venue ce soir était dictée avant tout par le plaisir de retrouver deux jeunes chanteurs prometteurs qui resteront sans doute parmi les plus belles surprises de l’ère Mortier. La belle Ekaterina Siurina confirme ce soir à quel point elle est une artiste attachante. Sa Gilda est de chair et sang, d’une grande sincérité, quasi idéale en scène, même en l’absence palpable de toute direction d’acteurs digne de ce nom. A la joyeuse et tendre ardeur juvénile au premier acte, succèdent une retenue concentrée et déchirante au second, puis, enfin, une singulière maturité quand survient le violent dénouement du drame. Le timbre un rien sombre, et sa voix plus corsée que ce qu’offrent habituellement les sopranos lyriques, contribuent en partie à ôter à cette Gilda toute trace de la vaine pétulance ou de ce semblant d’oie blanche que l’on rencontre bien souvent dans le rôle. Le chant est constamment superbe, sans inutile suraigu mais aussi sans difficulté, impeccable, étoffé, et d’une bien belle pureté de ligne et d’émission. Lors de sa confession du second acte, poignante et ineffable de beauté, elle réussit, incroyable miracle, à faire taire, quelques longues minutes durant, toute toux de l’assemblée de poitrinaires réunis pour la circonstance. Ekaterina Siurina m’a ce soir ému comme jamais aucune autre Gilda croisée en scène. Paris, Londres, Vienne, New-York, Salzbourg, bientôt Glydenbourne, la carrière de Siurina est désormais bien lancée. Et ce n’est que justice : elle a déjà tout d’une grande. Pour sa part, Stefano Secco offre du Duc un portrait d’une grande exactitude vocale et psychologique, au juste point d’équilibre entre tendresse virile et morgue juvénile. La voix est percutante, bien en place, sans artifice technique, et est menée sans pose faussement suave ni machisme caricatural. Le timbre, intrinsèquement juvénile, est pour le rôle des plus heureux. A l’exception de son aria du II, mal entamée, sans doute par accident, et qui le trouve les quelques minutes à suivre épais d’émission et gauche de ligne, la qualité de ce chant est d’une grande probité et souvent même délectable. On comprend, pour une fois, bien volontiers l’attirance sans limite de Gilda. Leur duo fonctionne d’ailleurs à merveille : Ekaterina Siurina et Stefano Secco partagent une même honnêteté vocale, une même franchise théâtrale et surtout une jeunesse et un plaisir de chanter manifeste.

 

Je n’avais jamais entendu jusqu’ici Ambroggio Maestri. Je me félicite de cette rencontre impromptue. Car voici enfin un Rigoletto débarrassé de toute scorie vériste, de tout effet brutal ou autre vocifération. La voix peut paraître de prime abord plus légère et moins corsée que les titulaires habituels du rôle. On en mesure rapidement les bénéfices : l’aigu est facile, la ligne toujours soutenue, et si parfois la voix détimbre c’est que le baryton chante ses duos avec un art de la nuance, de la douceur vocale, qui laisse admiratif. Etonnant, entre autres, le duo avec le Sparafucile de Kristinn Siegmundsson, (sur la voix duquel le temps commence à faire sentir son œuvre), tout en murmures et en messes basses, ou bien encore cette strette vindicative à la rage intériorisée et contenue. Tout n’est pas irréprochable et parfois la voix décroche légèrement, sans jamais pour autant que l’expression musicale châtiée de l’artiste en souffre outre mesure. Si l’étoffe vocale se présente moins musclée qu’à l’habitude pour le rôle, ce Rigoletto paternel et tellement humain ne manque pas à l’occasion non plus d’autorité. Là où les hurleurs patentés se trouvent pris de court dès lors qu’il s’agit de marquer un instant d’intensité dramatique, Ambroggio Maestri peut simplement, après tant de belles nuances, se contenter de chanter forte et faire tonner ses moyens tout de même conséquents. En somme, voila une denrée rare : un baryton verdien de grande classe, aux intentions musicales louables, sonore mais suffisamment svelte pour ne pas craindre l’extrême aigu de sa tessiture.  Ajoutons pour couronner le tout que l’acteur occupe naturellement l’espace et démontre une présence scénique certaine. Un excellent Rigoletto, ce n’est pas si fréquent, et ce soir, nous en tenions bien un. Espérons désormais des retrouvailles rapides avec cet étonnant baryton sur la scène de l’Opéra de Paris.

 

Parmi les seconds rôles, dans l’ensemble corrects sans plus, émerge le timbre somptueusement sombre et sensuel de la Maddalena de la jeune mezzo Varduhi Abrahamyan, à suivre assurément.

 

Dans la fosse, à la tête d’un orchestre en bonne forme, Daniel Oren propose une lecture sans précipitation ni démonstration excessive, ample et aérée,  bien équilibrée. Il soutient le drame avec conviction et tranchant plus qu’avec éclat, et contribue ainsi à faire de cette soirée verdienne une excellente surprise et un grand succès ; succès à attribuer avant tout à un trio de chanteurs principaux de bout en bout remarquables.     

 

 

Publié dans Saison 2008-2009

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :