Leb wohl du kühnes, herrliches Kind

Publié le par Friedmund

 

Pour cette seconde présentation de l’ouvrage, et édition du bicentenaire en quelque sorte, Günter Krämer a souhaité réviser en profondeur quelques scènes de sa Walküre. Les changements les plus spectaculaires sont sans aucun doute ceux qui transforment pleinement les deux premières scènes du premier acte. Dans sa mise en scène initiale, Krämer abandonnait les Wälsungen à la garde permanente des hommes de Hunding, créant ainsi une tension originale, et souvent efficace, au prix certes de l’intimité des jumeaux devenue autrement contrainte. Si les hommes du clan Hunding ne manquent pas leur apparition à la fin de la deuxième scène, Krämer les évacue tout au long de cette scène qui se joue désormais devant un mur de briques rapproché de l’avant-scène, et où, lors des trois récits successifs de Siegmund, se joue désormais une tension physique faite de bousculades et d’étreintes agressives entre Hunding et chacun des deux Wälsungen, alors que frère et sœur ne cessent de chercher à se rapprocher. L’oppression créée par l’étroitesse de la scène (le mur de briques) est renforcée par la présence des trois protagonistes sur un ring carré de quelques mètres de côté à peine. Images fortes et originales, à mon sens très réussies. Préalablement, Krämer change également de perspective le prélude : violence des hommes de Hunding et viol brutalement explicité précédemment se transforment désormais en un égorgement à grande échelle d’hommes nus par le clan Hunding sur la structure métallique phare de ce Ring, à peine voilée derrière un rideau légèrement opaque ; Siegmund en réchappera de justesse, protégé par Sieglinde, à l’issue du prélude. Autant la révision précédente, celle de la deuxième scène me semble une amélioration notable, pour ne pas dire un propos passionnant, autant cette mise en image trop explicitée du prélude me semble apporter peu, d’autant plus que la musique de Wagner possède une puissance émotionnelle en elle-même tant éloquente. Krämer aime montrer dans le détail, et sur de multiples plans simultanés, reconnaissons lui l’homogénéité de son propos à défaut de vraiment adhérer à ce goût prononcé de la surcharge visuelle. Troisième et dernière révision majeure, les Adieux de Wotan se font désormais devant la structure métallique, et le dieu endormira Brünnhilde tout en haut de l’escalier qui se parera classiquement, Loge convoqué, des fumigènes et flammes rougeoyantes attendus ; on soupçonne volontiers Nicolas Joel d’être passé par là. Ne boudons pas notre plaisir, c’est là une imagerie simple mais efficace pour une des scènes les plus symboliquement fortes et riches pour l’imaginaire de tout spectateur de tout le Ring de Richard Wagner. Avouons également que l’imagerie initiale de cette production où tous, de Fricka aux héros du Walhall, contemplaient dans un tableau désolé la fin d’une journée de tragédie, là où, parmi les flammes du rocher, Wotan/Wälse jetait ses ultimes regards sur le corps meurtri de Siegmund et celui désormais endormi de Brünnhilde, tous deux rapprochés loin des yeux du père (pour mémoire, Brünnhilde s’endormait sous le chariot sur lequel était déposé le corps de son demi-frère).

Gunther Krämer a motivé en partie ses révisions scéniques par le changement de distribution des Wälsungen, plus mûrs pour cette reprise selon lui. Sans rentrer dans le fond de cette réflexion, je note pour ma part la formidable intensité et qualité des Wälsungen de cette édition qui dominent nettement le plateau proposé par l’Opéra en ce dimanche 17 février. Stuart Skelton a beaucoup offert son beau Siegmund sur l’ensemble des scènes internationales et l’intimité entre le chanteur et son rôle est palpable. Le portrait qu’il dresse du Wälsung est saisissant d’héroïsme, de vérité, d’impact franc et sans détour. Il porte en lui toute la douleur épique de son personnage, aussi bien par la puissance vocale que par l’intensité verbale. On croit à ce Siegmund à chaque note, et jamais il ne nous lâche un seul instant dans sa détresse et son statut de héros d’ores et déjà condamné. Seule lui manque peut-être la poésie innée qui fait les Siegmund mythiques qui tous partagent l’ambivalence du lyrisme le plus tendre et du courage le plus introverti. A ses côtés, Martina Serafin dessine une Sieglinde d’une infinie intelligence, aux détresses intimes déchirantes et mesurées, pudique et sans faux-semblant. Martina Serafin se révèle encore extraordinaire conteuse et diseuse, femme inquiète et mûre plus que torche vivante, bref de ces Sieglinde qui réussissent infiniment mieux Der Männer Sippe que Du bist der Lenz. Plus d’une fois à vrai dire la comparaison avec Régine Crespin s’est imposée à moi tant bien même la substance de ces deux voix différent de manière sensible. Günther Groissböck impose sa voix noire et tendue, dense et profonde, mais aussi une présence scénique notable et un attention verbale notable qui rehausse encore l’impact de son Hunding. Tous trois concourent à l’excellence vocale d’un premier acte. Du côté du Walhall, le Wotan clair et incisif, expressif et très présent d’Egils Silins intéresse et entretient un intérêt constant tant bien même la voix ne possède intrinsèquement le charisme inhérent au Dieu. Sophie Koch, sans doute ici à la limite de ses possibilités, se jette dans son affrontement avec courage, feu, parfois même subtilité, sans toutefois tout le tranchant, la véhémence, la fureur verbe et la toise scénique décisives qui imposent indélébile la furie de la déesse. Pour ses débuts à l’Opéra de Paris Alwyn Mellor présente une Brünnhilde des plus intéressantes, claire et fraïche, spontanée et juvénile, idéalement adaptée à cette première journée de la Tétralogie. La voix est facile dans l’aigu, le timbre plaisant, et elle survole sans difficulté les pièges d’une partie pourtant redoutable. Sans doute le registre grave résonne moins glorieux que l’aigu, et l’incarnation comme la substance vocale nécessitent que passent la patine du temps et de la maturation. Mais quel bonheur d’entendre une Brünnhilde vierge avant d’être guerrière, sensible avant d’être cuirassée ! Restera à voir l’adéquation de ce tempérament avec la profondeur plus sombre et intense requise pour la dernière journée, mais, pour cette journée tout du moins, cette walkyrie s’écoute et se regarde avec bonheur – ce qui n’est tout de même pas si fréquent sur la scène wagnérienne internationale, convenons-en.

Que dire de l’orchestre de Philippe Jordan ? Je crois que malheureusement l’optique sans cesse affirmée de raffinement, de modération, d’alanguissement du chef, pour musical, propre, et même parfois recherché, qu’il soit ne correspond en rien à ce que j’attends d’un chef de théâtre. Toute la ferveur amoureuse de l’embrasement des jumeaux au premier acte est tuée par le tempo lent, la retenue excessive posée comme dogme, l’absence de risque comme de passion. C’est parfois beau, toujours châtié, mais que l’enthousiasme est plat, que le théâtre peine à vivre ainsi, bref que la manière semble infructueuse et stérile. Autant de caractéristiques qui pour un tel ouvrage s’avèrent meurtriers, d’autant plus que la pure qualité sonore de l’orchestre de l’Opéra ne saurait suffire à intéresser, a fortiori dans le vaste édifice qu’est Bastille. Dommage.

Leb Wohl du kühnes, herrliches KindEs rißAinsi se ferment avec la 339ème ces chroniques lyriques. 

 

Publié dans Saison 2012-2013

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