Die verkaufte Braut, Rudolf Kempe (EMI)

Publié le par Friedmund


 
Parmi les nombreuses rééditions de l’automne celle-ci me semble à marquer d’une pierre blanche. D’abord parce que la Fiancée vendue est un ouvrage aussi magnifique qu’ignoré dans notre pays toujours frileux envers les répertoires qui ne sont sans cesse rebattus. Ensuite parce que ce coffret lui-même est une fête musicale, et vocale, de tous les instants. Une vraie gourmandise en fait. Le trio principal est somptueux, spirituel, chacun caractérisant son rôle avec une verve aussi irrésistible qu’évidente. Comment rêver plus bel Hans/Jenik que celui du fringant et juvénile Fritz Wunderlich ? Le chant est solaire, l’incarnation tendrement coquine et pleine d’un esprit fin et radieux. Tout juste pourrait-on remarquer que le sang qui coule dans les veines de notre jeune paysan est peut-être plus bleu que rustique : mais, vraiment, qui s’en plaindra ? La remarque vaut aussi pour Gottlob Frick, chantant le rôle de Kecal d’une voix magnifique qui lui confère un charisme naturel bien plus convaincant que toutes les œillades et effets de basses moins riches. Et le comédien, fut-il noble de timbre et de chant, reste ce qu’il toujours été : immense.  Le célèbre duo du second acte qui les fait s’opposer est tout simplement irrésistible de bonne humeur, de magnificence vocale surtout. La jeune Pilar Lorengar affiche, quant à elle, en ces années là, des couleurs vocales luxueuses, sensuelles et angéliques à la fois. Cette Marie/Marenka s’en trouve plus noble et consistante qu’à l’habitude, plus affirmée et pudique en fait, idéalement assortie au ton et aux manières de Fritz Wunderlich. Karl-Ernst Mercker, par contre, dessine grossièrement un Vasek caricatural et grotesque dont les traits s’accordent mal à l’élégance générale du plateau, Wunderlich en tête naturellement A cette exception près, à laquelle j’adjoindrais peut-être Gertrud Freudmann, plus soubrette que nature, et sensiblement trop pincée à mon goût en Esmeralda, le reste du plateau fonctionne très bien. On y croise d’ailleurs quelques noms pas tout à fait inconnus dans les seconds rôles, dont Marcel Cordes en Kruschnina, Sieglinde Wagner en Agnès et même Ivan Sardi en Micha.

Tous s’expriment ici bien sûr en allemand, et la pertinence stylistique et idiomatique de cette intégrale peut s’en trouver en toute logique mise en question. D’autant plus qu’à la baguette Rudolf Kempe charge de couleurs fortes la partition de Smetana, avec un lyrisme entraînant et émouvant, sans doute plus germain que tchèque. Inutile de chercher ici l’atmosphère rustique et folklorique ni le rubato d’un Chalabala en studio, ni même la brillance légère toute en finesse aérienne de Kolser dans le live praguois de 1981 (les deux chez Supraphon). Dirigée par cet immense chef qu’est Rudolf Kempe, la partition gagne en noblesse ce qu’elle perd peut-être en authenticité, et révèle des richesses sonores insoupçonnées, délectables. Est-ce ma germanophilie qui m’égare ? Je trouve en tout cas à cet enregistrement des vertus et des plaisirs que les meilleures intégrales tchèques ne me procurent pas en quantité égale. A ceux que la traduction dérangerait, je rappelle la disponibilité, pour le moment encore, des deux versions mentionnées ci-dessus, d’esprit fort différent, mais toutes deux aussi appréciables ; avec une préférence personnelle marquée pour la finesse élégante et gracieuse de Zdenek Kosler et les belles prestations de Gabriela Benackova et Peter Dvorsky. Quelles que soient les affinités interprétatives de tout un chacun, renoncer aux joies de la Fiancée vendue me semble malheureux pour tout amateur d’opéra qui se respecte.

Pour mémoire, mon prosélytisme smetanien, assumé, s’était déjà manifesté dans ces pages pour défendre Dalibor, autre chef-d’œuvre absent de manière incompréhensible des scènes françaises.  

 


Publié dans Disques et livres

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