Comédies amères à la napolitaine

Publié le par Friedmund

 

Don Pasquale, Théâtre des Champs-Elysées, 24/02/2012

L’affiche ne payait que peu de mine pour ce Don Pasquale, et la soirée était avant tout destinée à une communion musicale,  simple et joyeuse, autour de la partition du maître de Bergame. La surprise n’en fut que plus heureuse. Certes tout n’était pas parfait, et sans doute aurais-je préféré que le jeu des dates m’offre une soirée avec Alessandro Corbelli plutôt qu’avec le Don Pasquale de Lorenzo Regazzo. La basse italienne convainc sans réserve sur scène, et son chant est comme toujours stylé et supérieur. Manquent par contre la gouaille, la folie verbale et goûteuse du texte, les excentriques emportements. Ce vieux barbon est bien sage dans ses illusions, ses fantasmes, les amertumes auxquelles il faudra bien qu’il se rende. Et combien le souvenir, vieux de vingt ans pourtant, de la truculence vocale et scénique de Gabriel Bacquier dans le même rôle n’a cessé de m’accompagner en comparaison toute la soirée ! Les premières scènes du Maltesta de Gabriele Viviani inquiètent par la brouille du chanteur avec la justesse. Vite toutefois le baryton retrouve ses marques, et dessine un personnage preste et rusé, vivant et cohérent, maître de ce jeu plus tendre que cruel ; la conduite vocale, très respectable, reste toutefois approximative pour le répertoire belcantiste. Ernesto maladroit, juvénile et touchant, le jeune ténor Francesco Demuro est une belle découverte. La voix reste encore verte et étroite, et indique sans doute plus pour l’avenir celle d’un tenorino que d’un futur authentique primo uomo romantique.  Mais le timbre est beau, clair et lumineux, doré et bien coloré.  Et le chant souple et fluide, qui ne craint pas de faire résonner son contre-ré à découvert, sonore, musical et bien amené. La caractérisation du personnage est quant à elle idéale de tendresse, de sensibilité, de vis comica parfois même. Un signe qui ne trompe pas quant à la marque individuelle de ce jeune ténor : il réussit à sans cesse intéresser là où restent pourtant inoubliables en mémoire pour ces mêmes notes le souvenir des plus grands – de Tito Schipa à Luciano Pavarotti, en passant par Cesare Valetti ou Alfredo Kraus. Ceci écrit, l’étoile lumineuse et glorieuse de la soirée est assurément Desirée Rancatore. La soprano explose en mille vocalises virtuoses et électrisantes qui emplissent l’espace sonore, alors que son énergie scénique, sa vis comica naturelle  et son charisme lui font brûler les planches simultanément !  Les suraigus s’invitent cinglants et sonores, le théâtre est déchainé, la leçon de bel canto évidente. Les ovations en cascade qui l’accueillent ne sont que justice, et, mieux encore, remerciements enthousiastes pour tant de jubilation sonore et goûteuse. Dans la fosse, Enrique Mazzola anime l’ensemble avec un esprit vif, une direction claire et sans surcharge, toujours dansante et souvent tendre, sans raideur ni brutalité aucune. L’Orchestre National de France, fluide et brillant, un rien incolore parfois mais toujours léger et spirituel, accompagne gaiement le mouvement et joue délicieusement le jeu. La mise en scène de Denis Podalydès se focalise avant tout sur le rythme de l’ensemble et la caractérisation bien accompagnée de chacun des personnages. Si l’ensemble n’est guère original et recycle bien des idées mille fois vues, force est de reconnaître que le résultat est efficace et même plaisant. Une excellente surprise en somme que ce Don Pasquale, riche en joies et en bonheurs, simples peut-être, mais francs et authentiques avant tout.

 

Cosi fan tutte, Théâtre des Champs-Elysées, 24/05/2012

La création de ce Cosi fan tutte en 2008 m’avait laissé fort insatisfait, et musicalement et scéniquement. Le spectacle d’Eric Génovèse reste inchangé : des décors et des costumes élégants, un classicisme sans heurt, mais, surtout, peu de profondeur. La comédie est élégante, quoique les effets comiques du couple masculin bien appuyés, mais l’esprit y manque. Point de vertige, de brûlure ou bien d’ambiguïté dans un opéra qui n’est pourtant fait que de ces aléas et incertitudes du cœur. Dans le fond, cette mise en scène est l’illustration parfaite que la littéralité n’exempte en rien du risque de la trahison du propos. La bonne surprise de cette reprise s’entend très vite dans la fosse. Aux incertitudes de Jean-Christophe Spinosi en 2008, Jérémie Rhorer et le Cercle de l’Harmonie opposent un son feutré et délicat, souvent riche en couleurs, toujours élégant malgré quelques intonations défaillantes. Si la lecture du chef n’offre rien de neuf et ne démontre ni les équilibres parfaits d’un Gardiner, ni les audaces d’un Jacobs, le tout s’écoute avec bonheur et même souvent plaisir. La distribution de la reprise est sans doute supérieure à celle de la création, quoique fort perfectible. Bien sûr, la Fiordiligi de Camilla Tilling tient pour part de la gageure. Mais la fraîcheur de la voix sied à l’adolescente de Ferrare, et sa douce féminité impose une Fiordiligi plus rêveuse et sensible qu’à l’accoutumée. Les écueils du rôle sont assurés crânement, sans faire oublier pour autant dans ses deux arias que la chanteuse est à la limite de ses moyens, tant bien même les visite t-elle avec héroïsme. Sa sorella Dorabella, Michèle Losier, tient sa partie honorablement, sans pour autant réellement marquer l’esprit ou les sens. Leurs deux amants souffrent d’un déséquilibre fatal : ici le timide Ferrando trompette alors que le bravache Guglielmo chante dans sa barbe ; et les deux germanisent plus volontiers qu’ils nous rappellent Naples. Bernard Richter en Ferrando a de beaux moyens mais en abuse et ôte toute la sensibilité et toute la vulnérabilité propres à son personnage, alors que le Guglielmo de Markus Werba peine à projeter et ses notes et ses mots et finit par sembler, un comble, dans l’ombre de son acolyte. C’est donc auprès des deux manipulateurs que l’on trouvera le plus grand plaisir. La Despina de Claire Debono est ici fort heureuse, délicieusement fruitée et charnue, sensuelle et espiègle. Pietro Spagnoli campe un Don Alfonso idéal, sans caricature mais riche de mots, châtié et bien équilibré, au chant noble et impeccable. Lui seul nous rappelle d’ailleurs combien cette partition doit à Naples, et non pas seulement du fait qu’elle est lieu de l’action.


Publié dans Saison 2011-2012

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