Passion selon Saint-Matthieu, Koopman (Challenge Classic)

Publié le par Friedmund

 

 


S’il est bien un compositeur qui illustre que l’art de faire de la musique ne s’est certainement pas perdu ces dernières décennies, c’est certainement Bach dont nous vivons sans doute un âge d’or interprétatif.  Car il faut bien le dire, si on peut s’attendrir ici des Evangélistes de Karl Erb ou Anton Dermota, ou bien des beautés étourdissantes de Seefried, Grümmer ou Ferrier, les passions de Bach ne résistent pas aux sévices infligés par les Mengelberg, Furtwängler, Klemperer ou autres Karajan. La beauté des instruments anciens, leurs capacités d’articulation, et surtout la pulsation qu’ont su mettre Harnoncourt et ses successeurs donnent à entendre des trésors de musicalité, jadis enfouis sous l’épaisseur des cordes et des tempi indigestes dans leur uniformité et leur manque de pulsation.

La chaleur, la finesse et la beauté des pupitres du Amsterdam Baroque Orchestra est somptueuse et représente la première belle surprise de ce nouveau coffret (Challenge Classics). La seconde est plus surprenante. Après des décennies d’interprétation d’un catholicisme germain boursouflé, ces dernières années ont offertes des interprétations souvent chaleureuses, dansantes, d’une grande souplesse (Herreweghe) voire quasi méditerranéennes (Kujken), ou bien alors minimalistes (Suzuki) voire austères (McCreesh). Tom Koopman surprend par une certaine raideur (mais dans des tempi rapides) et un traitement des chœurs en masse (deux fois quinze choristes des Amsterdam Baroque, plus dix-huit garçons du Sacraments-Church de Breda), quoique souvent situés très en arrière plan sonore. Aux ors des pupitres, s’ajoutent en somme des perspectives toutes géométriques, pures mais non sans grandeur, et une haute tenue du propos : voici en somme la première cathédrale baroque authentiquement luthérienne de la discographie.

Le niveau des solistes réunis par Koopman, sans être éblouissant, n’est pas pour autant inférieur aux dernières versions parues. Le joli soprano de Cornelia Samuelis ne marque pas l’esprit outre mesure mais est idéalement pure et aérienne. L’alto de Bogna Bertosz séduit par la beauté et la chaleur du timbre, la jeunesse, l’humilité du ton ; les moyens ne sont pas saisissants, mais l’interprétation est très attachante. Paul Agnew me laisse partagé pour la partie de ténor : la charge émotionnelle de ses deux interventions est certaine, immédiatement saisissante, mais il y a quelque chose d’affecté, de trémulant, de précieux, qui tranche trop à mon goût avec le cadre général de l’interprétation de Koopman ; c’est vocalement du très grand art, mais j’ai le sentiment qu’il s’est ici trompé d’église. L’immense Klaus Mertens est simplement parfait, chaleureux, magnifiquement chantant et d’une touchante humanité : qui a mieux chanté cette partie que lui, hier comme aujourd’hui? Le Christ de Ekkehard Abele touche par sa jeunesse bienvenue, l’humilité du ton, tant bien même la voix n’est pas saisissante par elle même. Sans égaler tout à fait les plus grands Evangélistes, Jörg Dürmuller est un récitant de très grande qualité, expressif sans maniérisme, ému sans surcharge, souple et jeune de ton.

La prise de son claire et chaude parachève le sentiment de bonheur musical que distille, par sa tenue, sa finesse, sa musicalité chaleureuse, cette nouvelle Passion selon Saint-Matthieu. A noter : elle existe aussi en DVD chez le même éditeur.

 


J’attends désormais avec impatience la gravure prochaine de René Jacobs chez Harmonia Mundi.

 

Publié dans Disques et livres

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