Journal d'un disparu / Château de Barbe-Bleue, Garnier, 04/02/2007

Publié le par Friedmund


Ne connaissant pas le Journal d’un disparu avant de me rendre à Garnier ce dimanche, j’étais plutôt intrigué, sur la foi du seul titre, du couplage proposé. Celui-ci se révèle en fait fort judicieux, tant les deux sujets de Janacek et Bartok se font écho, nous narrant deux rencontres de l’autre totalement opposées. Dans les deux cas voici une description précise, par étapes, du résultat de la découverte de l’altérité amoureuse : la première, initialement refusée amène progressivement à la tolérance, l’acceptation de l’autre et l’amour, la seconde, plus connue, à la séparation définitive et tragique, inéluctable. J’avoue que la juxtaposition des deux œuvres m’a beaucoup fasciné, et justifie à mon sens pleinement la représentation opératique du cycle de mélodies de Janacek.
Le Journal d’un disparu repose en grande partie sur la prestation du ténor. Michael König, de sa belle voix de ténor chaude et expressive a été le grand artisan du succès de cette première partie. Hannah Esther Minutillo est bien plus à son aise ici que dans Mozart, et s’impose scéniquement par un physique convaincant. La mise en scène, d’une grande sobriété, se contente d’illustrer l’enfermement personnel du narrateur dans ses a priori, le plaçant dans un trou dont il sera pleinement libéré dès la pleine acceptation de l’autre. Imagerie très symbolique et dépouillée, mais en fait plutôt efficace, créant une atmosphère appropriée, tout en laissant le propos se concentrer sur le chant, ce qui est plutôt bienvenu pour une œuvre qui reste avant tout un cycle de mélodie, tant bien même est-il illustré scéniquement.  Le site de l’Opéra nous révèle que Gustav Kuhn a souhaité orchestrer cette œuvre dans l’esprit de l’écriture de Bartok. Je me contenterais de noter pudiquement que le résultat n’est pas à la hauteur de l’intention, et que sa seule qualité était d’être suffisamment limpide pour ne pas gêner le ténor. Tant qu’à faire, le piano prévu originellement par Janacek, dans la fosse ou monté sur la scène, m’aurait semblé tout aussi pertinent, et naturellement plus fidèle au compositeur, voire à la mise en scène.

Le Château de Barbe-Bleue brille avant tout par la belle mise en scène de la Fura del Baus, étonnante et intensément suggestive, illustrant toute l’ombre de la demeure de Barbe-Bleue, et favorisant une impression soutenue de mystère et de fantastique. L’imagination ne manque jamais, de cette Judith arpentant l’obscurité au flambeau et apparaissant brièvement à des points opposés de la scène (les deux protagonistes étant secondés par des sosies scéniques), au recours aux images pour illustrer sur grand écran en surimpression de la scène des images de Garnier au moment des troisième et cinquième portes, ou bien encore l’évocation des précédentes épouses par autant de mains surgissant lorsque Judith rejoint Barbe-Bleue dans leur lit nuptial. Jamais pourtant ces idées ne paraissent gratuites ou viennent affecter cette atmosphère onirique si suggestive : du très beau travail, sensible et bien pensé. Sans être en rien mémorables ou impressionnants, les deux solistes se révèlent tout à fait satisfaisants. Willard White, toujours aussi charismatique en scène, est un Barbe-Bleue vocalement très convaincant. Beatrice Uria-Monzon, que je n’attendais pas vraiment dans tel rôle,  étonne, conférant, après un début relativement froid, chaleur, ampleur et intensité à sa Judith, d’une belle présence scénique. Gustav Kuhn dirige Bartok dans une optique dix-neuvième très lyrique mais, surtout, très en deçà des attentes que l'on peut légitimement exiger pour tel chef d'oeuvre orchestral. Le manque d’arêtes, de puissance et de fulgurances, de simples splendeurs orchestrales en fait, se révèle terriblement frustrant et décevant.

En tout cas, voici une belle production que j’espère voir inscrite durablement au répertoire de l’Opéra. Reste désormais, pour une reprise, à la confier à un chef aux affinités bartokiennes plus évidentes.

 

Publié dans Saison 2006-2007

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