Sémélé, de Marais à Haendel

Publié le par Friedmund


A défaut de l’Olympe tant désiré, Sémélé se trouve deux fois à l’affiche des parutions discographiques de l’hiver. Si l’oratorio de Haendel est bien connu, la tragédie lyrique de Marin Marais est une de ces redécouvertes dont le printemps baroque actuel est friand.

 

Las, les plaisirs infinis de la Sémélé de Haendel ne se retrouvent guère chez son homologue française. Le compositeur n’est certainement pas le principal coupable. L’inventivité et la richesse musicale sont au rendez-vous et bien des pages se révèlent brillantes, à commencer par l’étourdissante chaconne aux dimensions symphoniques qui clôt (presque) le second acte. Malheureusement le livret d’Antoine Houdar de la Motte est simplement indigent. Peu d’esprit vient ici flatter notre belle langue française, l’intrigue est vide de tout enjeu dramatique collatéral ou intermédiaire, les personnages fades et sans réelle dimension. Ce n’est sans doute pas un hasard si la musique de Marais tend à se faire plus somptueuse dès lors que les solistes s’éclipsent. Hervé Niquet saisit chacune des beautés de la partition avec son élan et son sens habituel de la danse et du rythme. A la tête d’un Concert Spirituel superbe, Niquet obtient plus d’une fois des merveilles de la partition. Sa chaconne est irrésistible d’élan, son tremblement de terre saisissant, sa scène infernale captivante ;  son prologue, servi par des chœurs superbes quoique souvent peu intelligibles, un somptueux hymne au divin Bacchus. Privés de rôles à habiter, les interprètes font ici de leur mieux et souvent avec application sans pourtant qu’aucune figure prenne vie ou séduise. La prise de son sèche et mate ne contribue pas à flatter les chanteurs, distants et souvent privés de leurs couleurs. On trouvera toutefois de la fraîcheur à la ravissante Dorine de Bénédicte Tauran, de la présence à la Junon bien timbrée  de Hjördis Thébault et une certaine prestance au Jupiter sensible de Thomas Dolié. Dans le rôle-titre, Shannon Mercer est compétente mais peu rayonnante et sans séduction particulière. L’Adraste de Anders Dahlin pourra par contre apparaître bien effacé et fragile, et le Mercure de Lisandro Abadie bien fruste. En prêtres de Bacchus, Joel Azzaretti et Marc Labronne contribuent à la beauté d’un prologue qui constitue peut-être la meilleure part de l’ouvrage. Marais et Niquet ne sauraient rendre cet album inintéressant ; ce beau livre-disque inclut également de nombreux articles fort pertinents et instructifs quant à la genèse et l'originalité de cette Sémélé. Pourtant, ni l’œuvre ni son interprétation ne me semblent rejoindre en qualité et intérêt la belle redécouverte de la Callirhoé de Destouches chez le même éditeur. J’attends toutefois d’ores et déjà avec impatience la suite des travaux d’archéologie lyrique de Hervé Niquet.


L’infidélité commise auprès de la Sémélé française permet de revenir à celle de Haendel en en goûtant mieux que jamais toutes les beautés et l’esprit. D’autant plus que ce nouvel enregistrement publié chez Chandos est des plus vivifiants. La couverture de l’album en résume tout l’esprit et les meilleures qualités : la fraîcheur et l’élégance d’une Angleterre ensoleillée, et une interprète d’exception dans le rôle-titre. Rosemary Joshua ferait le prix de cet album à elle seule. Sa Sémélé ruisselle de féminité et d’un sex-appeal tout en finesse. L’entendre est un plaisir sans fin, tant la voix est belle, le chant parfait, et l’incarnation idéale de beauté et de fraîcheur. Le Jupiter de Richard Croft est tout aussi sexy, juvénile mais viril, à la ligne de chant somptueuse faisant fi de toutes les acrobaties vocales du rôle. Le couple formé par cette Sémélé et ce Jupiter envoûte par sa beauté radieuse, son esprit brillant, sa séduction élégante et son érotisme d’une délicate évidence.  En Junon (et Ino), Hilary Summers séduit par la richesse d’un timbre aux couleurs sombres soutenues, une vraie virtuosité et une tenue de grande classe ; femme jalouse peut-être, mais déesse olympienne avant tout. Le contre-ténor de Stephan Wallace en Athamus est un vrai plaisir : beaucoup de chaleur, une belle homogénéité et surtout beaucoup de musicalité. La belle basse sonore et noble de Brindley Sherratt, Cadmus et Somnus, contribue à la fête vocale élégante et joliment colorée de l’album. La direction de Christian Curnyn pétille trois heures durant. Ce ton british, élégant mais nerveux et racé, peut apparaître uniforme et en manque de variété de prime abord. A l’évidence, le chef joue la carte de l’oratorio coquin et joyeux plus que celui de l’opéra. Le résultat, pour lisse qu’il peut paraître par rapport à d’autres interprétations haendéliennes du moment plus volontiers heurtées ou franchement théâtrales, déborde pourtant de joie, de sève, de bonne humeur. Pour la première fois au disque, l’œuvre peut compter sur les beautés des instruments d’époque : les pupitres de l’Early Opera Company sont enchanteurs, ronds et lisses, sans fausse note de goût ni aspérité. Les chœurs, remarquables d’articulation musicale et verbale, affirment une présence réjouissante qui parachève la joie raffinée et subtilement enivrante que distille ce beau coffret. La prise de son chaleureuse, claire, précise et bien définie, achève de faire de cet enregistrement une réussite totale. Si la distribution peut paraître moins prestigieuse que celle rassemblée par John Nelson chez DG, l’ensemble me semble pourtant bien plus convaincant et homogène dans cette nouvelle version ; et Rosemary Joshua une Sémélé d’une toute autre classe que la certes très coquette Kathleen Battle. 

Publié dans Disques et livres

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