Simon Keenlyside, Garnier, 12/02/2010

Publié le par Friedmund

 

Gabriel Fauré

Mandoline, En sourdine, Green, Notre amour, Fleur jetée, Spleen, Madrigal de Shylock, Aubade, Le Papillon et la fleur

Maurice Ravel

Histoires Naturelles

Robert Schumann

Dichterliebe 

Franz Schubert
Der Einsame, Die Sterne, Nachtviolen, Der Wanderer an den Mond

Johannes Brahms
Wir wandelten

   

Simon Keenlyside baryton
Malcolm Martineau piano

 

Je n’associais que très peu Simon Keenlyside au monde de la mélodie. Son exemplaire carrière l’a installé comme un des deux ou trois plus beaux barytons de notre temps, essentiellement à l’opéra. Si on peut concevoir le chemin qui mène de Mozart à Schubert, le répertoire de la mélodie française, si complexe et sophistiqué, peut sembler un exercice périlleux pour un chanteur d’opéra avant tout. Les mélodies de Fauré qui ouvrent ce récital confirment d’emblée que la langue peut être maîtrisée sans accent sans pour autant que l’idiome soit naturel ; quelques attaques incertaines ou autres scories d’émission (le froid parisien de ce mois de février ?) atteignent aussi à l’absolue fluidité requise par ce répertoire. Si la voix de Keenlyside reste d’une étonnante beauté et d’une rare maîtrise, les mots ne prennent guère ici leur saveur propre, leur subtile sonorité. La ligne de chant elle-même cherche des raffinements de nuance, dans l’aigu notamment, qui finissent bien souvent en décolorations malvenues, ou, pire encore, en inutiles préciosités. Les vers s'alourdissent ou se freinent ainsi bien souvent, privant ces poèmes de leur nécessaire envol, de leur liberté verbale.  En somme, on entend ici une des plus belles voix du monde se déployer maladroitement comme dans un univers qui lui semble bien peu famililer. La richesse de cette voix, la beauté de ses différents registres, un certain sens du phrasé permettent de goûter le matériau avec bonheur, sans que la construction finale emporte pour autant l’adhésion. Les Histoires Naturelles de Ravel trouvent Simon Keenlyside déjà plus à l’aise. Le ton empreint de fausse solennité du texte et de la musique lui permettent de déployer la richesse des résonnances de sa voix et surexpose moins la continuité de la ligne. Le ton est souvent plus approprié, sans pour autant que l’humour rentré et pince sans-rire de ces pièces ne prennent toute sa saveur ; saveur laissée dans les seules mains expressives et chaleureuses du piano de Malcolm Martineau.

 

Changement de répertoire en seconde partie et passage au monde du Lied. Le Dichterliebe de Schumann m’a semblé souffrir d’un réel manque d’unité dans l’approche. Les lieder les plus amoureusement rêveurs apparaissent prosaïques, comme privés de tendresse ou d’abandon ; les sons décolorés et affadis du registre aigu gênent par ailleurs plus encore ici que lors des mélodies de Fauré. A contrario, le chanteur se déchaîne avec une certaine brutalité trop soulignée lors des numéros plus douloureux. Certes, Schumann avait été subjugué par une Wilhelmine Schröder-Devrient interprétant de la manière la plus exacerbée Ich grolle nicht. Mes oreilles éduquées à ce cycle par la finesse de touche poétique de Fritz Wunderlich et Lotte Lehmann, n’entendent pour autant chez Keenlyside que douleur extérieure un rien forcée, pour ne pas dire histrionique. La beauté et la facilité de la voix ne suffisent plus à séduire alors que l’univers poétique de Schumann et Heine paraît bien malmené, comme dessiné à gros traits là où la sensibilité la plus délicate est de mise. Schubert forme l’essentiel du complément de programme donné en bis. Le chant de Simon Keenlyside retrouve ici toute l’élégance mozartienne qu’on lui connaît à la scène: Der Einsame étonne par son naturel après des Schumann aussi artificiels, Die Sterne est phrasé de manière somptueuse, Der Wanderer an den Mond  emporte par son rythme et sa verve. Le court détour par Brahms (Wir wandelten) se révèle tout aussi satisfaisant. Paradoxalement, les cinq lieder donnés en bis constituent ainsi le meilleur moment d’une soirée jusque là imparfaite voire frustrante. L’accompagnement de Malcolm Martineau, au romantisme bien dosé entre passion et retenue, se révèle tout à fait remarquable dans cette seconde partie allemande, notamment lors du Dichterliebe.

 

Quelles que soient les réserves émises précédemment, j’avoue avoir pris beaucoup de plaisir à ce récital. Parce que la voix de Simon Keenlyside est somptueuse et l’artiste intègre. Parce que son accompagnateur Malcolm Martineau a fait mieux que le soutenir et l’accompagner tout au long de la soirée. Parce que les Schubert et le Brahms étaient superbes. Parce qu’un récital de mélodies et de lieder dans les ors du Palais Garnier demeure un moment de musique privilégié, a fortiori dans le courant d’une saison parisienne à la programmation bien terne.

 

 

Publié dans Saison 2009-2010

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