La Calisto, Champs-Elysées, 09/05/2010

Publié le par Friedmund

 

 

On ne répétera jamais assez que le répertoire commun ignore délibérément bien des merveilles mésestimées ou trop méconnues. Quel chef-d’œuvre pourtant ! L’opéra de Cavalli s’inscrit au titre des réussites majeures du seicento italien, là et au siècle où le genre nait et se propulse dès ses débuts, et peut-être comme il ne le fera plus par la suite, au firmament des arts, mariage sans égal de toutes les muses. La Calisto rejoint le Couronnement de Poppée - très probablement pour une bonne part de la plume de Cavalli plutôt que de celle de Monteverdi d’ailleurs -  parmi les joyaux d’une Venise baignée dans l’érudition de l’Accademia et les opulences sensuelles d’une Sérénissime indifférente à tout rigorisme romain. La même exaltation sans fard des sens et désirs, le même triomphe des corps et de Dionysos tout puissant sur toute morale de pacotille, et une même inspiration littéraire et musicale les unit. Seuls Agrippina et Cosi fan Tutte sauront distiller encore ces vérités humaines, avant que le genre s’abandonne définitivement, soit à la fadaise de tristes amours niaisement romancées, soit à une chair nécessairement naturaliste et pessimiste. L’hygiénisme forcené de notre société contemporaine trouverait là pourtant bien des remèdes à sa grisaille mortifère. Assurément La Calisto fait partie de ces merveilles sophistiquées et précieuses et délaissées par un public frileux ; la salle est d’ailleurs bien vide, et se vide encore à l’issue d’un premier acte, d’exposition certes, mais surtout peu réussi en scène. Combien sacrifierais-je pourtant d’ouvrages fréquemment à l’affiche pour s’assurer de croiser régulièrement cette seule Calisto ! Il est dit que les affiches des théâtres seront toujours plus l’œuvre de Junon que celle de Mercure. Hélas.

 

Quitte à prendre le risque de monter cette Calisto, autant pousser l’audace jusqu’à souligner les siennes, et lui donner vie dans toute sa richesse sensuelle et sa réjouissante vitalité. Las, ce n’est guère la tiède sagesse sans relief ni couleur de Macha Makeïeff qui saura exalter la sève des amours jupitériennes selon Ovide. Du baroque, nous obtenons une machine-ascenseur, quelques pas de danses, et une Junon vraie déesse (mais l’interprète y est sans doute pour beaucoup). Pour le reste, cubes, escaliers et fond de scène étoilé ne feront pas le reste. De l’érotisme diffus de la partition, rien ou presque, jusqu’au contresens absolu d’un Cupidon enfant et sage chérubin ! Passons vite encore sur le portrait d’Endimione dont toute la tendresse amoureuse ne ressort ici qu’en niaise fadeur. Le monde de Pan concentre le peu d’inventivité théâtrale de la production, sans pour autant marquer outre mesure. Jupiter, Mercure et Calisto finiraient presque ainsi en fades écoliers, au mépris pourtant d’un texte suffisamment soutenu dans sa sensualité torride. Ovide revu et parfumé à l’eau de rose en somme.   

 

Les choix musicologiques contribuent tout autant à affadir le propos. Attribuer à l’interprète de Jupiter plutôt que celui de Diane les parties où le dieu prend l’apparence de la déesse pour mieux séduire Calisto est un choix difficilement compréhensible. S’y perdent bien sûr l’ambiguïté volontaire des sexes, l’équilibre par l’exhaustivité des combinaisons amoureuses. Pire encore, le falsetto graveleux et outré d’un baryton-Jupiter  en lieu et place des douceurs d’une mezzo-Diane, tue toute la sensualité délicate et saphique que dessine Cavalli lors des rencontres de la nymphe avec le dieu métamorphosé. Si René Jacobs pour son enregistrement de studio avait effectué le même choix pour son Jupiter travesti, mais en était resté là, Christophe Rousset renchérit en redistribuant à d’autres tessitures deux autres rôles. Confier Linfea à une mezzo plutôt qu’à un ténor me semble procéder de la même erreur et pour les mêmes raisons.  Et quelle logique alors à confier à une soprano le rôle du petit satyre ? Qu’est donc passé dans la tête du chef à ainsi désamorcer de la sorte toutes les ambiguïtés sexuelles voulues par Cavalli ? Quel intérêt de monter la Calisto si la contrepartie est de la rendre sage - pour ne pas dire bêtement convenable ? C’est d’autant plus dommage que la direction de Christophe Rousset sait se faire plus d’une fois chaloupée et caressante, à défaut de restituer toute l’ironie et les humeurs de la partition. Et les pupitres réduits des Talens Lyriques se révèlent souvent idéalement chaleureux et feutrés.

 

Reste alors la qualité certaine d’une distribution de bon niveau. La formidable Junon de Véronique Gens impressionne dans la voix comme dans le geste : la prestance de l’artiste est remarquable, sa présence en scène toujours intense et remarquée. Marie-Claude Chappuis, Diane sensuelle et souvent captivante, belle en scène et superbe chanteuse, s’impose également sans peine. A côtés de ces deux solides tempéraments, Sophie Karthäuser en nymphe tant désirée apparait de fait plus en retrait, impeccable peut-être mais trop policée sans doute, privée sans doute par la mise en scène de tout le chien attendu. Lawrence Zazzo, dont j’ai toujours aimé l’art et la manière, et la voix et le chant, souffre avant tout lui aussi du traitement scénique que lui inflige - hélas - la direction d’acteurs, ôtant au personnage d’Endimione toute la noblesse du cœur qui séduit Diane chez ce tendre berger. Le Jupiter de Giovanni Battista Parodi, solide en scène, au verbe souvent savoureux, mais à la voix parfois rocailleuse, assure son rôle, à l’instar de Mario Cassi, Mercure fluide et bien chantant.  Excellentes prestations également de Sabino Puértolas, pétulant petit satyre, Milena Storti, Linfea superbe de voix,  Cyril Auvity, Pan fort bien caractérisé, ou encore  Graeme Broadbent, noble et sonore Sylvano. Tous contribuent à l’immense plaisir d’entendre l’œuvre en scène, fut-elle tristement désamorcée par une mise en scène qui nous prive et du sel de l’œuvre et des moites sueurs attendues.

 

 

 

Publié dans Saison 2009-2010

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