Oberon, Gardiner (Philips)

Publié le par Friedmund

 


Il est toujours surprenant de constater à quel point une réalisation discographique peut changer un point de vue sur une œuvre. La cause était pour moi entendue depuis longtemps et le parcours très occasionnel de la luxueuse version Kubelik (DG) avec Birgit Nilsson et Placido Domingo : belle musique souvent, mais inconsistance dramatique fatale pour maintenir l’intérêt d’écoutes répétées de cet Oberon, or the Elf King’s oath.

Cette nouvelle version change sensiblement mon point de vue ; le mérite en revient en grande partie aux options prises par John-Eliot Gardiner. Pour la première fois dans son histoire discographique, Oberon est rendu, avec bonheur, à sa langue originelle, l’anglais ; le choix de la version allemande pour l’enregistrement de Conlon distribuant Voigt, Lakes, Heppner et Croft tient du mystère insondable… L’association de l’anglais aux instruments anciens de l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique confère un enchantement particulier à cet Oberon : serait-ce parce que ce rapprochement évoque inconsciemment les féeries de Purcell ? L’abandon double de l’allemand et d’un orchestre aux sonorités romantiques tardives déwagnérise avec  bonheur et élégance cette partition de 1826. Autre option bienvenue du chef anglais, la suppression des dialogues, remplacés ici par un narrateur. Le procédé a conduit par le passé au meilleur  (les narrations enflammées de Christoph Batntzer dans la Leonore du même Gardiner) comme au pire (l’odieuse voix de supermarché de la Zauberflöte de Nikolaus Harnoncourt). La solution fonctionne ici à merveille et tend, avec simplicité mais efficacité, à resserrer l’action dramatique si distendue propre à l’œuvre. Les mérites de Gardiner ne s’arrêtent pas à cette cohérence retrouvée : il la sert aussi musicalement avec raffinement, délicatesse et même humour. Les textures sont allégées, fines, belles tout simplement, laissant surgir tour à tour des traits d’orchestre ici intenses (le violoncelle de l’aria d’Oberon), là rieurs (la clarinette de l’aria de Fatima). La splendeur tempétueuse des vagues orchestrales du « Still I see thy billows » (grande scène océane de Rezia) est d’un peintre remarquable, et le sens élégant de la danse qui parcoure cet album rappelle à quel point Gardiner, dont la Lustige Witwe en remontre à tous les autrichiens, y excelle.

La distribution n’atteint pas, à une exception près, la même splendeur, mais ne démérite globalement pas. La Rezia d’Hillevi Martinpelto est sans doute la relative faiblesse de l’album. Le timbre, cristallin et frais, est appréciable, l’artiste est sensible voire frémissante, mais les moyens viennent par trop à manquer lorsque surgit le redoutable « Ocean ! Thou mighty monster » : faute de puissance, la soprano se réfugie dans une musicalité délicate là où Birgit Nilsson emportait tout sur son passage telle une irrésistible déferlante. A ses côtés, Jonas Kaufmann chante un Huon remarquable de bout en bout, aussi à l’aise dans l’héroïsme mâle de « From boyhood trained » que dans le lyrisme délicat, soutenu et pianissimo, de sa prière du II ; sa grande scène du I est assumée vocalement avec une classe insensée, sans esquiver aucune difficulté, d’une solidité sans faille, et avec un délié supérieur à celui de Gedda même: pour peu, et toute proportion de vocalité gardée, j’invoquerais presque le souvenir du jeune Vickers! Steve Davislim ne saurait prétendre à de tels sommets, mais son Oberon clair et propre est très agréable à entendre, très présent sans être inoubliable. Parmi des seconds rôles corrects, Marina Comparato est une Fatima colorée, et Frances Bourne chante un Puck roué et juvénile.

L’atmosphère réjouissante de cet enregistrement, la direction de Gardiner toute en malice et en finesse, la restitution de la langue originelle, et, last but not least, la vaillance châtiée de Kaufmann rendent à mon sens cet album préférable à la version Kubelik. Les versions Conlon (EMI) et Janowski (BMG) présentent des affiches intéressantes, mais je n’ai pas eu le loisir de les entendre jusqu’ici. Je signale également la parution récente de deux intégrales prises sur le vif: au sein d’entourages anonymes et a priori peu engageants, elles conservent néanmois traces  de l'Huon de Gedda (Gala) et de la Rezia de la jeune Rysanek (Walhall).


Publié dans Disques et livres

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