Ballo in maschera, Bastille, 07/07/2007

Publié le par Friedmund

 



Je n’avais croisé Aprile Millo qu’une seule fois avant cette représentation de Ballo in maschera. C’était en 1991 aux Chorégies d’Orange, pour Aïda. Aprile Millo avait chanté ce soir là le rôle-titre avec une classe étourdissante, déployant une voix d’or qui semblait renouer avec les fastes verdiens de la jeune Leontyne Price. La voix était idéalement charnue, voluptueuse et enveloppante, puissante et ronde, et osait devant le mur d’Orange d’inouïs piani de pleine voix. Sa scène du Nil, ou bien encore ses face à face avec une Dolora Zajick également glorieuse et survoltée, tout chez Aprile Millo m’avait laissé un souvenir ébloui; Michael Sylvester, Simon Estes et Luigi Roni complétaient l’affiche, Michel Plasson dirigeait. Son intégrale de studio, enregistrée la même année, encore avec Dolora Zajick mais aussi Placido Domingo et James Levine, est somptueuse (Sony), sans doute une des toutes meilleures de la discographie.

 

Dès son entrée dans l’antre de la sorcière, on devine que la soirée va être difficile. La voix reste impressionnante d’épaisseur, mais lourde et difficile à mouvoir : les envolées lyriques d’Amelia partent les ailes coupées, les quelques vocalises simples du rôle sont pachydermiques, les affects grossiers d’expression. Si l’instrument a conservé sa puissance, il a par contre perdu ses couleurs, la voix sonne rêche et éteinte, et surtout son aigu, immanquablement instable et tonitruant, est hurlé de manière effrayante. Si l’on ajoute à cela des graves étouffés, un vibrato large et des respirations intermédiaires meurtrières pour la ligne, tout est désormais réuni pour pleurer sur les restes délabrés d’un des plus beaux sopranos verdiens d’après-guerre. Dès l’Orrido campo les huées fusèrent des quatre coins de l’Opéra Bastille. Son aria du troisième acte était plus digne jusqu’à une vocalise grotesque et un aigu hurlé et vinaigré absolument immonde. Au second acte, notre diva s’emmêla joyeusement les pinceaux rythmiques dans le trio qu’elle commença en retard, et m’a semblé victime d’un blanc fâcheux dans l’ensemble final.

 

Si Aprile Millo ne montra guère de dignité scénique, avec une gestuelle exagérée de mamma italienne digne des Arènes de Vérone des mauvais soirs, le « meilleur » de ses talents d’actrice restait à venir aux saluts finals. Copieusement conspuée, elle s’avança tout sourire tout au devant de la scène, avec un geste des deux mains à chaque redoublement des huées semblant dire « envoyez m’en encore ».  Naturellement, au second passage des saluts, devant le rideau, la bronca s’était encore amplifiée, d'autant plus que la soprano s’attardait plus que de mesure sous les huées en envoyant mille baisers… L’artiste semblait tout d’un coup douloureusement au même niveau de dignité que sa grotesque prestation scénique et sa voix en lambeaux.
 

Evan Bowers avait la lourde tâche de remplacer Marcelo Alvarez au début de la série, puis Neil Shicoff pour cette représentation. Son Riccardo très impliqué est plutôt plus émouvant et crédible que celui de Marcelo Alvarez, mais n’en possède bien sûr pas les irrésistibles attraits vocaux : l’aigu semble poussé en permanence, le passage contraint et peu fluide, le legato et la ligne difficiles à maintenir. La dignité et l’intégrité du ténor ne suffisent pas à masquer qu’une voix de cette qualité n’a guère sa place a priori sur une scène internationale comme l’Opéra de Paris. En seconde audition, ou bien était-ce la proximité de Millo, j’ai trouvé Ludovic Tézier plus satisfaisant : le timbre est superbe, le personnage est fier et le chant est noble. Ces indéniables qualités ne peuvent pourtant masquer combien Tézier se retrouve souvent impuissant à faire vivre une ligne et un caractère vocalement trop grands et exigeants pour ses moyens. L’Ulrica d’Elena Manistina reste pâteuse et engoncée, sans beauté ni liberté de chant. Si Jean-Luc Ballestra se révèle correct mais peu marquant en Silvano, ce ne sont certainement pas les conspirateurs de Scott Wilde et Michail Scheliomanski qui pourraient apporter un tant soi peu de dignité vocale à ce triste Bal. Dans ce contexte d’une rare médiocrité, la belle Camilla Tilling brille sans peine et s’impose comme la reine du bal. La voix est fraîche et rayonnante, l’artiste fine et délicieuse, et ses deux arias les seuls francs bonheurs de la soirée.

 

J’avais pointé lors de la représentation de dimanche dernier  quelques trivialités dans la direction de Seymon Bychkov. Le hasard a donc bien fait les choses en me permettant d’entendre également celle de Paul Weingold. Aucun des tics rythmiques ou des trivialités du compositeur n’échappent à ce chef qui les souligne tous autant que possible, et de préférence de la pire des manières. Tout ce qui peut être perverti pour plus de vulgarité dans la partition l’est sans coup férir. Cette direction orchestrale assomme de lourdeurs appuyées, de brutalités tapageuses, sans pour autant faire oublier la mollesse d’ensemble d’une lecture décharnée et inconsistante. Les seuls plaisirs qui émergent de la fosse sont à porter au crédit des pupitres de l’orchestre qui parviennent parfois, malgré leur chef, à faire entendre leurs beautés.

 

Je ne reviens pas outre mesure sur la mise en scène de Gilbert Deflo déjà commentée précédemment. Son incapacité à faire surgir l’émotion est terriblement traître à une œuvre que Verdi avait conçu comme « un océan de passion ». Triste soirée à dire vrai, et triste fin de saison à l’Opéra de Paris. 

 

Publié dans Saison 2006-2007

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