Tristan und Isolde, Domingo - Stemme (EMI)

Publié le par Friedmund


Je m'étais juré de ne pas m'adonner à ce pur produit du marketing, et bien voilà c'est fait, je l'ai acheté hier. Jusqu'ici les intégrales wagnériennes de Placido Domingo ne m'avaient pas du tout convaincues, ne serait-ce Lohengrin, partiellement... sans pour autant que j'en oublie bien d'autres ténors que je préfère nettement dans le rôle.


Ce coffret a l'énorme avantage de ne pas reposer entièrement sur les épaules de Placido Domingo. D'abord Nina Stemme, qui si elle ne soutient pas l'attention de bout en bout, démontre des frémissements, des splendeurs, une jeunesse surtout, absolument magnifiques. Bien sûr elle n'est ni torche comme Mödl, ni furie amoureuse comme Traubel, ni pur mythe comme Flagstad, mais tant de délicatesse dans la voix, tant de charme se dégagent de ce vibrato frémissant, juvénile et sensible... On attend avec impatience ses nouveaux enregistrements wagnériens, cette Isolde me semblant déjà autrement plus intéressante que ses Wesendonck-Lieder pourtant loués par la presse. Rene Pape n'est pas une découverte, et sa voix de violoncelle est d'une classe indéniable: du très beau chant, mais l'émotion y est un peu absente par rapport aux plus grands, ou même simplement comparé au déchirement bouleversant que mettait Selig à la Bastille. Olaf Bär est une excellente surprise: je craignais un peu son Kurwenal, mais il est aussi bien chantant que dramatiquement présent. Mohiro Fujimura est une Brangäne à la voix claire et jeune, superbe, idéalement accordée à Stemme: j'ai hâte de l'entendre en Fricka au Châtelet. Si Ian Bostridge est un beau pâtre, le luxe de Rolando Villazon en Marin ne me semble pas particulièrment notable, là où Schock avec Furtwängler ou Schreier avec Kleiber posaient d'emblée une ambiance inoubliable.

J'ai dit plus haut à quel point les incarnations wagnériennes de studio de Placido Domingo m'ont laissé froid: Walther sans allemand, Tannhäuser débraillé, Parsifal étrange... seul son Lohengrin m'avait paru digne de référence, quoiqu'un ton net derrière les Melchior, Konya ou Thomas d'hier, voire des Seiffert ou Heppner d'aujourd'hui. Son Tristan, si avancé dans sa carrière, me semble par contre étonnant de simple chaleur, de jeunesse, de sensualité tendre et délicate après tant de Helden barytonnant et gris de voix. Un Tristan marquant de ton, cela devient rare, et c'est ce que me semble réussir Domingo: là où Melchior était légendaire, Vinay brûlant, Windgassen bouleversé, Vickers poète, Domingo est simplement amoureux et jeune. Le timbre, somptueusement enregistré, est caressant, la voix étonnamment solide, et tout reste d'une superbe musicalité, les délires du III rendus sans scorie comme une infinie mélodie d'une somptueuse beauté tout en legato. Vraiment du grand art !

Antonio Pappano
est soucieux avant tout de rendre la partition telle qu'elle est, lisible et sans parti pris. C'est très bien léché, parfois agréable, malgré la tendance au fortissimo un peu envahissante, surtout au point culminant du duo d'amour. Agréable mais pas mythique pour deux sous, là où Karajan, Furtwängler, Böhm ou Berntein nous ont invité à de tout autres sortilèges...
Pourtant, l'orchestre de Pappano  un écrin adapté à la chaleur et à la jeunesse de Stemme et Domingo, tous deux idéalement assortis, créant une unité de ton que ne déparent pas Pape, Bar, Fujimura, Bostridge et Villazon. C'est là un Tristan und Isolde dans le fond très personnel et singulier, très original, avant tout guidé par une musicalité lyrique et chaleureuse. Et si c'était là un Tristan romantique, mais d'un romantisme tout méditerranéen, sensuel, simplement amoureux, tendre et dont la gravité n'est qu'humaine sans once de métaphysique? Quoi qu'il en soit un bien beau disque, auquel manquent pourtant les vertiges de la scène et les déchirements des amants. 

 

Publié dans Disques et livres

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