Antonietta Stella

Publié le par Friedmund


La carrière d’Antonietta Stella n’a pas été ce qu’elle aurait du être. On avance fréquemment que la rivalité entre Maria Callas et Renata Tebaldi fut fatale à sa jeune carrière. Le retrait rapide de Callas à la fin des années 50 et le déclin de Tebaldi au milieu des années 60 dément cette argumentation trop succincte. Un manque certain d’imagination musicale et dramatique, une tendance marquée aux annulations et un déclin vocal à mi-carrière dès le milieu des années 60 forment des raisons sans doute plus fondées au manque d’aura dont peut bénéficie aujourd’hui ce spinto de belle étoffe,  comme on en a peu entendu après-guerre.

 

Si la discographie de Antonietta Stella est fournie, ses récitals demeurent peu accessibles. DG a republié en CD brièvement au milieu des années 90 son récital de 1962, désormais introuvable. Ce disque Testament facilement disponible est donc une bénédiction, d’autant plus qu’il permet de retrouver la jeune Antonietta Stella au sommet de ses moyens, dans deux récitals Verdi et Puccini de 1955 regroupés en un seul CD. Bien sûr, il ne faut pas chercher chez Stella ce qu’elle ne peut offrir : les incarnations sont souvent plébéiennes, la technique parfois aléatoire (surtout dans des aigus arrachés et peu nets), le ton et la couleur souvent ternes et peu variés. Mais quelle voix ! Le premier paradoxe de cet album est de trouver cette verdienne plutôt lourde bien plus excitante dans la pyrotechnie vocale que dans la déclamation tragique. Seules les météoriques Callas, Cerquetti et Souliotis surent après-guerre conjuguer cette intensité, cette couleur sombre et un sens de la vocalise aussi percutant. La cabalette d’Ernani est électrisante et le boléro des Vespri Siciliani jubilatoire d’aisance et de fierté vocale. Mais ces moments de rare excitation purement physique ne sauraient masquer la sensibilité d’une Desdemona très émouvante (Ave Maria), la force dramatique certaine d’Aïda (« Ritorna vicintor »), et, plus encore, le portrait remarquable de sa Leonora di Vargas, tour à tour intense, à fleur de peau, et véhemente (« Pace mio Dio »). Que le récital Puccini soit plus passionnant encore représente sans doute l’autre paradoxe de cet album consacré à une artiste dont le souvenir reste principalement attaché au répertoire verdien. « O moi babbino caro », resplendit de féminité juvénile et tendre, «Laggiu nel Soledad » stupéfie par l’aisance et la puissance de la voix, et les trois extraits de Butterfly étonnent par l’intensité crédible et en rien artificielle de l’interprète. « Sola perduta abbandonata », anthologique, justifierait à lui seul l’achat de l’album. Stella s’offre le luxe d’un diminuendo de grande classe dès la première syllabe de l’air, puis alterne sur chaque mot colorations et nuances différentes, entame un crescendo progressif ravageur, rompt et susurre enfin un « non voglio morire » pianissimo… avant de le reprendre violemment et toute voix déployée pour terminer l’aria ! Cette Manon Lescaut remettrait en cause à elle seule l’idée d’une Stella uniforme d’expression et tragédienne secondaire : elle bat sur ce seul extrait haut la main tout ce que j’ai pu y  entendre de meilleur, Callas comprise. En somme, ce récital est pour moi une invitation à revisiter bien des disques de l’artiste, jugée peut-être trop hâtivement par la postérité et des oreilles trop distraites.

 

A noter, si les prises de son varient en présence (bon mono), elles confèrent au timbre de Stella un surplus de lumière insoupçonnable dans des prises plus tardives ou simplement plus mates.       

 

Biographie rapide

 

Née en 1921, Antonietta Stella choisit encore adolescente de se destiner à l’art lyrique. Elle étudie d’abord le chant dans sa ville natale de Perugia, puis à Rome. Elle remporte en 1949 le concours de Bologne, et fait ses débuts en Leonora di Vargas à Spoleto en 1950 ; l’année suivante elle chante le rôle à l’Opéra de Rome. Pour le cinquantenaire de la mort de Giuseppe Verdi, la firme Cetra enregistre l’ensemble des opéras du compositeur : Stella se voit confiée Amelia Grimaldi aux côtés d’un jeune ténor prometteur, Carlo Bergonzi. Sa carrière accélère rapidement en Italie (débuts à la Scala en 1954 en Desdemona), mais aussi en Europe (Aïda à Covent Garden en 1955, forte présence en Allemagne), puis en Amérique du Sud (Aïda encore au Colon de Buenos Aires en 1956). En 1956, Tullio Serafin la choisit pour graver Violetta en studio, brouillant sensiblement le chef avec Maria Callas ; le maestro la retient encore pour graver la rare Linda di Chamounix de Donizetti pour Philips. En novembre de la même année, elle fait ses premiers pas, en Aïda encore, sur la scène du Met, où elle chante plus de cinquante représentations en quatre saisons. En 1960, elle prétend un problème de santé pour ne pas accompagner le Met en tournée… et se présente sur la scène de la Scala au même moment. Rudolf Bing rompt son contrat, forçant le retour en Europe d’une Stella, désormais sur la pente douce du déclin. Elle se produit une quinzaine d’années encore jusqu’à la fin des années 70, principalement sur la scène italienne. Retirée de la scène, Stella continue encore aujourd’hui à enseigner.

 

Si elle échoue notablement en 1956 en Norma au Brésil, Stella chante un répertoire relativement large incluant les principaux spinti italiens (Tosca, Aïda, les deux Amelia et les deux Leonora verdiennes), mais aussi Wagner en Allemagne (Elsa, Elisabeth, Senta et même Sieglinde), Mozart (Donna Anna à la Scala), ainsi que des créations de Guerini (Enea, 1953) ou De Belli (Maria Stuarda, 1974). Parmi sa discographie importante, citons au premier chef le célèbre live scaligère de la Battaglia di Legnano avec Franco Corelli et Ettore Bastianini (Myto), et, au studio, une belle Elisabeth de Valois aux côtés de Boris Christoff et Tito Gobbi (EMI), ainsi qu’une appréciable Leonora pour le Manrico officiel de Carlo Bergonzi (DG).

 

Publié dans Oeuvres et artistes

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :