Affaire Makropoulos, Bastille, 08/05/2007

Publié le par Friedmund

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Krzysztof Warlikowski avait inauguré ses débuts sur la scène lyrique dans un déferlement de cris et de huées la saison dernière à Garnier avec Iphigénie en Tauride (1). Sa mise en scène du chef-d’œuvre de Gluck avait démontré toute sa technicité d’homme de théâtre, mais une démarche creuse et vaine dans le détournement du propos. Sa production de l’Affaire  Makropoulos me semble tout aussi insipide dans le propos. En plaçant Emilia Marty sous les projecteurs d’Hollywood, le metteur en scène file sans doute parfaitement sa métaphore : belle salle de cinéma très 50s, King Kong géant au second acte, projections d’images de Marylin Monroe et de divers films de l’époque, sunlights, strass et paillettes, tout semble cohérent, jusqu’à Hauk-Sendorf transformé pour l’occasion en vendeur d’ice-creams de salle obscure ! Techniquement, c’est du grand spectacle, bien léché et fort luxueux… mais que reste t-il de la fièvre, du fantastique, de l’atmosphère glauque et crue de l’ouvrage ? Emilia Marty n’est plus ici une dominatrice carnassière, manipulatrice méprisante à la sexualité crue et à l’ironie cinglante : tout juste une starlette blonde peroxydée, fragile et probablement sous anti-dépresseurs. Réduire l’emprise et l’irrésistible pouvoir charismatique de la tricentenaire à l’échancrure de ses tenues et à son statut de star de cinéma revient à affadir considérablement un des plus beaux, et des plus forts, personnages de l’histoire de l’opéra. Jamais cette E. M. ne semble fasciner et dominer les autres personnages de l’opéra, condition pourtant sine qua non à la cohérence dramatique de l’ouvrage. Le parallèle avec la Klytemnestra dépeinte par Hartmann (2) est troublant : par quel tropisme des hommes de théâtre préfèrent réduire des personnages hors du commun à de vulgaires et insignifiants caractères ? Cette propension à ramener le mythe au drame bourgeois est incompréhensible chez cette génération de théâtreux qui n’ont pourtant que les mots « théâtre fort » à la bouche…  Inutile de chercher tout mystère, surnaturel ou étrangeté dans cet étalage hollywoodien aux couleurs chaudes et intenses. La direction d’acteurs me semble d’ailleurs beaucoup moins percutante que celle déployée, savamment si à contresens, pour Iphigénie en Tauride. Warlikowski se repose sur le luxe toujours payant de ses décors, et n’offre à Denoke que de fréquents changements de tenue comme seule gestuelle signifiante. Le renoncement final et la transfiguration d’Emilia sont prosaïquement ramenés à une noyade en piscine, métaphore hollywoodienne oblige… La trahison et l’affadissement sont ici tout aussi caractérisés que pour Iphigénie en Tauride, mais en plus, et contrairement à sa précédente production, toute tension dramatique et vision théâtrale affirmée se révèlent ici absentes. En somme, c’est tout aussi traître, mais en plus on s’ennuie : le poil à gratter a été remplacé par la guimauve bon marché. Le luxe des décors et des costumes d’une part, et peut-être les références cinématographiques d’autre part, déclenchent pourtant les ovations du public. Warlikowski n’aura pas tarder à se convertir à l’art de flatter le public en usant des pires travers qu’il dénonçait la main sur le cœur et le verbe haut la saison dernière. Dommage, malgré ses maladresses Iphigénie en Tauride semblait quand même porter de meilleures promesses que cette transposition convenue et sans saveur.

Le plateau vocal apporte plus de bonheur, quoique sans tenir non plus tout à fait toutes ses promesses. Angela Denoke est à l’aise dans ce répertoire, la voix est somptueuse et facile, la femme belle et l’actrice toujours très convaincante. Si j’ai goûté la qualité du timbre et cette voix pleine de lumière, cette Emilia Marty n’est guère ni fascinante ni irrésistible. Jamais elle ne s’impose ni vocalement ni théâtralement comme le pôle d’attraction de tous les autres protagonistes ; le contexte scénographique est sans doute plus à blâmer que cette admirable soprano. Charles Workmann, son partenaire lors des Cardillac
(3) de la saison dernière, se révèle par contre très présent en Albert Gregor : la voix est percutante tant bien même l’aigu semble désormais atteint et difficile, et l’acteur est souverain. Vincent le Texier m’a semblé moins immédiatement satisfaisant, sans toute la présence vocale et théâtrale désirée, mais sans que je puisse pour autant vraiment noter un quelconque net défaut à son Jaroslav Prus. David Kuebler a toujours la voix aussi courte et étroite depuis ses Loge au Châtelet (4) et se révèle plutôt insignifiant en Vitek. On lui suggère de prendre conseil auprès du vétéran Ryland Davies, vocalement diminué peut-être, mais qui confère à son tendre Hauk-Sendorf une remarquable présence par l’élégance et l’intensité du verbe. Karine Deshayes s’impose sans mal dans le rôle pourtant guère payant de Krista, et Ales Bricsein et Paul Gay sont pour leur part excellents en Janek et Kolenaty. Dans la fosse, Tomas Hanus démontre beaucoup de musicalité et de retenue. L’orchestre de l’Opéra est sous sa baguette d’une remarquable fluidité et transparence. Cette finesse et cette élégance se paient néanmoins par un manque regrettable de tranchant et de fièvre; de l'âpreté propre à la musique de Janacek en somme. Si le rendu sonore est incontestablement d’une haute qualité, l’orchestre ne contribue pas à apporter la tension et l’intensité dramatique si singulièrement absentes de la scène.
 
En conclusion, l’Affaire Makropoulos aura bénéficié pour sa création parisienne d’une production certes spectaculaire visuellement, mais très en retrait des exigences et surtout des possibilités dramatiques que permet cet opéra fantastique à tous les sens du terme. Tout du moins l’incompréhensible ostracisme dont souffrait ce chef-d’œuvre sur la scène parisienne appartient désormais au passé : quatre-vingts ans après sa création, il était temps !  
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Publié dans Saison 2006-2007

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