Cosi Fan Tutte, Garnier, 12/09/2005

Publié le par Friedmund

 

Que dire du spectacle de Patrice Chéreau qui n'en a pas été dit? Chéreau met en scène les émotions amoureuses et leur donne comme cadre un théâtre, où chaque personnage se retrouve sous les feux de la rampe, comme à Broadway. Plus que les vertiges, Chéreau dépeint les feintes de chacun de ces personnages qui se croient plus fidèles, nobles, amoureux qu'ils ne sont, alors qu'ils nient leur moteur le plus évident, le plus humain, celui du désir brut. La scène de Chéreau trouve comme toujours l'éloquence de la description de chacune des émotions de chacun des personnages avec une science rare. Elle offre aussi des images de pur théâtre inoubliables, de la farandole des adieux à la communion finale où les six personnages se rassemblent en cercle pour surmonter ensemble l'épreuve qui les fera, peut-être, accéder enfin à la pleine empathie de l'autre; mais aussi un duo Dorabella-Guglielmo d'une sensualité insensée, ou encore un "Donne mie" inhabituel d'un Guglielmo bouleversé et désespéré, d'une colère mal contenue par la tristesse. Cette production ne serait-elle pas déjà d'ores et déjà un classique en devenir d'une oeuvre plus sensible et difficile à mettre en scène qu'on pourrait le croire?

Le sextuor de Garnier est le même que celui d'Aix-en-Provence. La Fiordiligi d'Erin Wall a indubitablement une voix mieux projetée que le timbre très léger ne pourrait laisser croire, mais peu de sensibilité vocale, alors que celle de l'actrice (le port du corps! le visage!) est indéniable. De Dorabella, Elina Garanca n'a ni le timbre de soprano attendu, ni vraiment la personnalité scénique et vocale. Et pourtant, dès qu'elle ouvre la bouche, la fascination est immédiate devant tant d'opulence, de beauté, de puissance: une vraie voix d'opéra, superbe et percutante, cela n'est pas si fréquent; elle surclasse aisément le reste du plateau. Shawn Mathey est un Ferrando fonctionnel, dégageant une certaine juvénilité, mais à l'italien hasardeux et à la grâce toute relative; comme à Aix, il omettra "Ah lo veggio". Stéphane Degout, magnifiié scéniquement par Chéreau, est un Guglielmo vocalement beau et au style impeccable, auquel manque juste dans la voix ce charisme qui lui fait scéniquement brûler les planches. De Ruggero Raimondi on admirera la présence incroyable qui l'impose sans mal en maître du jeu; la voix est usée aux deux extrémités et a du mal, plus d'une fois, à soutenir le souffle, la ligne de chant ou la simple justesse: pourtant l'artiste reste grand, surtout par une composition scénique époustouflante. Si Barbara Bonney présentait déjà des signes de fatigue en Zdenka au mois de mai au Chêtelet, l'écriture straussienne lui était plus favorable: sa Despina semble souvent en grande difficulté, particulièrement dans son "Una donna" aigre et savonné, mais aussi dans des récitatifs où seul brille encore un timbre qui fut autrefois sublime; quelques sifflets et huées tomberont même au rideau final pour cette prestation vocalement douloureuse. Suite à la défection de Daniel Harding, Gustav Kuhn le remplaçait quasiment au pied levé. Le résultat est plutôt satisfaisant: quelques belles sonorités, malheureusement au prix d'une pâte orchestrale un peu épaisse et de tempi tendant à ralentir de manière insigne lors des airs.

Chaleureux applaudissements pour toute l'équipe et pour Chéreau, présent au rideau final, mais pas de rappel triomphal non plus. En fait, face à tels spectacle et soirée, pour tout dire, les applaudissements me sont apparus franchement chiches.

 

Publié dans Saison 2005-2006

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :