Idomeneo, Garnier, 29/12/2006

Publié le par Friedmund

 


Définitivement, j'ai aimé le travail de Luc Bondy que la télévision trahissait totalement, d'abord parce qu'on y perd la qualité d'éclairages d'une subtilité rare sur une scène d'opéra, et ensuite parce qu'il joue parfois avec l'espace dans toute sa largeur, voire sur plusieurs plans. Le plus bel exemple est sans doute l'arrivée d'Idamante se dessinant dans l'ombre et la brume en fond de scène pendant Vedrommi intorno: image aussi poétique qu'émouvante. Le travail sur les mouvements des choeurs est aussi plutôt remarquable, que ce soit les choristes surgissant à terre pendant Numi pieta dans une atmosphère cauchemardesque, ou plus encore un Voto tremendo à la faible lueur des bougies d'un peuple entourant et protégeant un Idomeneo terrassé et agenouillé. Superbes images, tout comme cette fuite finale paniquée d'un peuple ayant appris que l'on ne lutte pas avec les éléments. Bien d'autres beaux moments, comme cette lumière qui apparait pour la première fois enveloppante et positive lors du Zeffiretti lunsighieri. La direction d'acteurs est plus aléatoire: idéale de candeur pour Ilia, plus fougueuse pour Idamante, leur duo du III les trouvera magnifiquement amoureux dans leurs gestes. Singulièrement Elettra n'est que peu mise en valeur par le travail de Bondy (alors qu'il avait quand même en Delunsch une actrice née), et Idomeneo semble laissé à l'abandon plus d'une fois (Fuor del mar se résumant à traverser la scène devant la rampe de long en large avec petits mouvements de la main...). Pourtant dans la sérénité et la retenue des gestes, Bondy me semble conserver cette dimension originale et fondamentale des personnages d'Idomeneo: leur pudeur extrême. DiDonato et Vargas m'ont pratiquement tiré les larmes des yeux lors de Ramenta il tuo dover. Au final, cette mise en scène impose son atmosphère lourde d'éléments déchainés, de désolation et de fin du monde avec une poésie et une puissance d'évocation indéniable: le cauchemar est ici à la hauteur de son instigateur Neptune.

 

Il est regrettable que Bondy n'ait pas trouvé ici un chef plus attentif à la puissance dramatique de l'oeuvre. Thomas Hengelbrock est assurément un fin musicien, et l'orchestre de l'ONP fait plaisir à entendre sous sa baguette: les textures sont équilibrées, retenues, d'une grande finesse d'intonation et de phrasés. Le hic c'est que cette délicatesse et ce raffinement enjôleur ne sont quand même pas particulièrement bienvenus dans un opera seria, et certainement encore moins dans celui-là que dans tout autre. Dit autrement cela manquait terriblement d'arêtes, d'angles, d'incisivité... mais où était donc à l'orchestre le cauchemar de la tempête, les déchirements du quatuor, les fureurs d'Elettra, ou bien l'horreur du sacrifice à venir ? Depuis Harnoncourt, on sait qu'Idomeneo s'empoigne, il ne se caresse pas. Choeurs impeccables musicalement, dramatiquement un peu en manque d'éloquence, et que j'aurais souhaité surtout plus fournis lors de la tempête.

L'Idomeneo de Ramon Vargas pose sensiblement le même problème. C'est dit, la voix est magnifique, et rarement aura t-on entendu Fuor del mar mieux vocalisé, d'autant plus que Vargas opte pour un da capo plus périlleux encore qu'à l'habitude. Ce Fuor del mar est sans doute bien chanté, mais la rage y est quand même pour le moins limitée, et on chercherait en vain un sentiment d'horreur hallucinée à son Vedrommi intorno. De même les récitatifs sont bien sages, joliment énoncés mais sans dimension théâtrale alors que c'est là qu'Idomeneo doit s'y dessiner, s'y imposer. Où est le navigateur épuisé, le roi à la charge trop lourde, le père qui défie un dieu pour sauver son fils ? A certains moments, j'aurais presque échangé Vargas contre Moser, autrement plus charismatique et autoritaire dans ses récitatifs.... Curieusement, Vargas ne chante pas Torna la pace, sans doute des trois airs celui qui l'aurait le mieux flatté. Du très beau chant, mais bien peu de théâtre pour un rôle dont c'est l'essence même. L'Arbace de Thomas Moser connaît son récitatif mozartien, c'est indéniable, et dégage un vrai charisme dont on aurait bien souhaité le quart à Vargas. Son aria par contre est un moment vraiment pénible, accumulant les fautes de justesse de l'aigu, de rythmes, et simplement de goût (inénarrables respirations au milieu des vocalises...). Après nous avoir gratifié de Parsifal, d'Erik, de Kaiser admirables sur la scène de l'Opéra de Paris, il est dommage de voir ce grand artiste autant empêtré dans un rôle qui n'est plus dans ses cordes. La scène nous offre par contre un joli couple d'amants, musicalement comme scéniquement, se caractérisant par beaucoup de fraicheur, de spontanéité et de jeunesse. Joyce DiDonato et Camilla Tilling ont été les plus applaudies, à juste titre. La voix de Tilling est délicate à défaut d'être riche en couleurs, et l'actrice était vraiment très émouvante. L'Idamante clair de DiDonato est vocalement le bonheur de la soirée, en parfaite adéquation avec sa belle prestance scénique et des récitatifs bouillonnants et variés, d'une grande mobilité expressive. Je ne sais décidément pas quoi penser par contre de l'Elettra de Mireille Delunsch. L'actrice est impériale en scène, alors que pourtant le metteur en scène ne semble guère s'intéresser à son rôle, la chanteuse déjoue tous les pièges redoutables d'une partie aussi difficile à chanter qu'à rendre expressivement sans caricature... mais décidément la voix est trop rêche et trop maigre dans l'étoffe pour que l'on puisse vraiment s'en satisfaire. Quelle chanteuse singulière !

Pour finir un dernier mot de franc mécontentement: va pour les coupures, va encore pour que l'on ne joue pas le ballet... mais n'aurait-on pas pu au moins résoudre le problème des mesures conclusives autrement qu'en laissant les premières mesures de la chaconne disparaître par baisse du volume sonore jusqu'à cet arrêt ignoble, pas propre, anti-musical, et d'un goût parfaitement douteux ?

 

 

Publié dans Saison 2006-2007

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