Thomas Hampson et les Kindertotenlieder

Publié le par Friedmund

 

 

Kindertotenlieder les 16 janvier au TCE, puis le 29 à Pleyel

 

C’était Winterreise que devait initialement chanter Thomas Hampson au Théâtre des Champs-Elysées en ce mois de janvier. Changement de programme quelques jours auparavant, pour programmer, à la suite de quelques Schubert et mélodies de Barber les mêmes Kindertotenlieder déjà programmés deux semaines plus tard à Pleyel. On peut se poser la question d’un artiste qui propose deux fois le même programme dans la même ville, dans deux salles, à une dizaine de jours d’intervalle. Ou apprécier l’opportunité de comparer le baryton américain à lui-même dans les versions pour piano et pour orchestre.

 

Aux Champs-Elysées, la prestation de Thomas Hampson ne convainc qu’à moitié. Les deux premiers lieder, si douloureux et bouleversant, sonnent privés d’émotion, froid de chant et de présence. L’élégance et le raffinement de l’artiste semblent ici être contreproductive, l’expression artificielle. Wenn dein Mütterlein, qu’il phrase admirablement et avec une chaleur retrouvée, et qu’il habite tendrement, fait réapparaitre l’admirable mélodiste bien connu. Les deux derniers lieder resteront en retrait. Une question reste ouverte à l’issue du spectacle : quelle part attribuer à son accompagnateur dans la déception d’ensemble ? Le jeu désarticulé dans le rythme et parfois exagéré dans ses dynamiques du pianiste Wolfram Rieger semble mal approprié aux qualités naturelles de plénitude et d’élégance de Thomas Hampson. Disons au plus bref que l’auteur de ces lignes est usuellement peu sensible au pathos trop exagérée et croit ferme que le monde du Lied implique que chant et piano se marie dans une même vision. En somme une vraie déception.

 

Le concert de Pleyel est d’une toute autre trempe, et les partenaires de Hampson n’y sont sans doute pas étrangers. Eliahu Inbal et la Philharmonie Tchèque déploie un écrin idéalement assorti au baryton américain. Tous partagent une même vision lyrique et tendre, sans pathos aucun mais avec une vraie chaleur et une vraie tendresse, de la musique de Mahler et des poèmes de Rückert. Nun will die Sonne et Nun seh’ ich wohl warum so dunkle Flammen se révèlent d’entrée magnifiques, enveloppant et caressant, épurés dans les phrasés du chanteur, sobres et clairs à l’orchestre. La même conception sera à l’œuvre jusqu’à la fin, dépouillant de tout inutile paroxysme les tremblements des cordes pour le In diesem Wetter conclusif, n’en conservant que l’intensité retenue, intériorisée à l’extrême. Et c’est la berceuse, point fort du concert des Champs-Elysées, qui parait ici en retrait, il n’en demeure pas moins que cette seconde audition valait largement compensation de la déception précédente.

 

Liederabend du 16 janvier  

 

La soirée du 16 ne présentait guère d’intérêt, les décevants Kindertotenlieder en restant sans doute le point le plus intéressant. Si les affinités mahlériennes de Thomas Hampson sont bien connues, ses Schubert semblent moins évidents, plus embarrassés. Les extraits de Schwanengesang déçoivent. L’option qui consiste à attaquer à froid une soirée d’entrée par les exigences vocales et émotionnelles de Der Atlas est périlleuse. Hampson s’y perd d’ailleurs, n’en restituant que peu de sa force tragique et exacerbée. Les qualités premières du chanteur ont toujours été son legato chaleureux sans faille, sa capacité à phraser avec un art consommé et élégant toute musique lui permettant de déployer son timbre et ses manières cultivées. Dès que la musique se fait plus brutale, le volume, la couleur et l’articulation semblent disparaître, se désactiver. Tous les lieder à suivre qui demandent un tant soi peu de verbe mordant sont plutôt insatisfaisants, alors que ceux plus mélancoliques offre le luxe et la beauté d’un timbre et d’une émission de rêve. Hampson referme son carnet schubertien par l’autre sommet émotionnel que représente Der Doppelgänger, avec les mêmes limites que l’initial Der Atlas. En somme, peu de matière à regretter son Winterreise à dire vrai.

 

Je ne m’étendrai pas sur les mélodies de Samuel Barber à suivre. Au programme : Night Wanderers, A Green Lowland of Pianos, Solitary Hotel, Nocturne op.13 - puis enfin les Three songs op.10 sur des textes de James Joyce. Faisons bref : cette musique ne me parle pas – et ne me prends pas, a fortiori en sandwich entre Schubert et Mahler. Je trouve infiniment louable la passion avec laquelle Thomas Hampson défend et promeut le répertoire de la mélodie américaine. Pour autant, à titre personnel, je passe. On ne peut pas tout aimer. Finalement, ce sont les trois beaux bis de Mahler qui auront été, avec le superbe Wenn dein Mütterlein déjà mentionné, le meilleur d’une soirée guère inoubliable.   

 

Dixième symphonie de Mahler du 29 janvier

 

Les conceptions mahlériennes d’Eliahu Inbal sont bien connues depuis sa célèbre intégrale des années 80 : épure des lignes, cursivité, refus de tout pathos ou expressionisme. J’avoue que plus le temps passe plus ce type d’interprétation, jadis portées par un Walter ou un Kubelik, aujourd’hui par un Boulez, me sont précieuses. En comparaison, l’intégrale rivale de l’époque par Klaus Tennstedt me parait désormais inaudible dans son emphase, sa lenteur, son dolorisme exacerbé, ses couleurs d’agonie permanente. Faut-il prendre au pied de la lettre le mot du compositeur qui formulait que qui n’est pas exagéré est inintéressant ? Sa musique telle qu’elle est écrite n’est-elle pas déjà suffisamment marquée au fer des paroxysmes émotionnels ? Si notre époque semble avoir choisi la voie de l’épure, la question reste ouverte.  

 

Quoi qu’il en soit, trente ans après, et au concert, les grandes lignes posées par Eliahu Inbal sont intactes, parsemées peut-être d’une chaleur supplémentaire. Sous la baguette du chef israélien cette musique chante avec un lyrisme confondant, ne s’impose jamais, porte toujours. Bien sûr, cette conception lorgne plus sûrement du côté d’un Bruckner épuré que vers les arêtes harmoniques d’un Schönberg. La catastrophe tonale des deux adagios voulue par Mahler paraît ainsi bien gommée, moins saisissante qu’à l’habitude, et le Purgatorio, pris à un tempo très sage en comparaison des autres mouvements, ne fait guère résonner son aspect diabolique et ses lancinantes morsures métronomées. La tension du second adagio est par contre admirable, d’un lyrisme dense et intense, dans la lignée de ce qu’obtenait Bruno Walter dans l’adagio de son célèbre enregistrement de la Neuvième live à Vienne, à la veille de l’Anschluss. Les deux scherzos sont admirables, clairs de lignes, incisifs, électriques même. Paradoxalement, ce sont eux qui font la plus grande impression, alors que bien souvent ils peuvent paraître les compléments nécessaires au propos des deux adagios, autour du pivot infernal et si bien réglé qu’est le Purgatorio. Beaucoup de musicalité donc, exceptionnelle même, mais les chocs émotionnels de la partition semblent tout de même un peu étouffé pour une œuvre que Mahler écrivait avec une tension permanente et insoutenable, avec une douleur affective exacerbée.


Le mariage entre la Philharmonie Tchèque et Eliahu Inbal est récent. Ils partagent la même joie de chanter, le même goût de la couleur, et les mêmes affinités mahlériennes - c’est avec cet orchestre d’ailleurs que Gustav Mahler donna en 1908 la première exécution de sa Septième. Eliahu Inbal méritait de pouvoir enfin prendre à ce stade tardif de sa carrière la tête d’un orchestre prestigieux. De même, la Philharmonie Tchèque, jadis magnifiée par les baguettes successives de Vaclav Talich, Rafael Kubelik, Karel Ancerl puis Vaclav Neumann – tous les quatre de très grands mahlériens d’ailleurs - attendait depuis un certain temps un chef à même de la faire briller de mille feux. Sur la base de cette Dixième, les noces me semblent belles et prometteuses.

 

 

Publié dans Saison 2010-2011

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