Falstaff, Champs-Elysées, 29/06/2008

Publié le par Friedmund

 

 

Mettre en scène Falstaff présente des difficultés similaires à celles que ne manquent jamais de poser Cosi Fan Tutte : l’équilibre se doit de toujours rester subtil entre douce ironie et humour teinté d’amertume. Après des décennies de bouffonneries grasses et appuyées, le temps du trop sérieux est venu pour l’un comme pour l’autre. La transposition par Mario Martone de l’action de Falstaff à l’ère des rigidités victoriennes, si elle n’apporte rien de spécial à l’ouvrage, en dit long sur la vision d’ensemble du metteur en scène. Deux heures durant, la scène confirme l’intention : l’opéra semble bien plus contaminé par l’esprit étroit de l’austère Mister Ford que par la maladroite rouerie du bedonnant Sir de Windsor. Hélas, cette peur panique de la faute de goût annihile tout esprit à l’œuvre.  Le jeu de tout un chacun est plutôt bien réglé, la scène animée, quelques gags classiques pointent leurs nez de temps en temps, mais ni la poésie fine ni l’humour si chaleureux et humain de l'ouvrage ne prennent vraiment vie et certaines scènes paraissent finalement bien peu habitées.  Rien ne choque vraiment, le tout se laisse voir sans réel déplaisir, mais rien ne transporte ni ne passionne non plus.

 

L’interprète du rôle-titre renforce par ses options propres le sentiment de fadeur qui se dégage de la mise en scène. Ce Falstaff se veut tellement débarrassé de toutes les scories et excès de tant de ses prédécesseurs qu’il semble éteint et peu présent, sans esprit ni truculence. La démarche hygiéniste me semble ici un rien trop maniaque : il ne reste plus rien d’humain, de touchant ou de spirituel à la figure dessinée par Shakespeare. Alessandro Corbelli filtre tellement son rôle qu’il en devient transparent, à la scène comme dans la voix. Seule la gouaille du timbre assure une présence au personnage. Dommage, d’autant plus que, même annoncé souffrant, Corbelli affiche une voix délectable d’adéquation au rôle, de musicalité, de beau chant, d’évidence idiomatique.

 

L’affiche réunie autour de Corbelli collectionne les notoriétés naissantes ou déjà bien établies. Tous les artistes réunis brillent pourtant avant tout par leur participation à un collectif sans faille. Ainsi, individuellement, on pourrait trouver beaucoup à redire de chacune des quatre interprètes féminines. Amel Brahim-Djelloul et Marie-Nicole Lemieux, respectivement Nanetta et Quickly, emportent tous les suffrages au rideau final par leurs présences scéniques, l’une délicieusement adolescente et fraîche, l’autre enjouée et tout en savoureux relief. Pourtant, la voix de Brahim-Djelloul, toute de finesse, semble bien frêle et incolore malgré ses charmes indéniables. A contrario, Lemieux en fait souvent des tonnes et poitrine beaucoup, mais le timbre est somptueux. Caitlin Hulcap fait ce qu’elle peut du rôle ingrat de Meg Page, de manière plutôt satisfaisante. Enfin, Anna Caterina Antonacci ne possède sans doute plus aujourd’hui tout le lyrisme propre aux envolées de Mrs Ford, mais elle lui confère une personnalité fouillée, dans le verbe comme dans le geste. La beauté vocale et scénique de l’artiste fait le reste, et je ne saurais y rester insensible, quel que soit le contexte ; celui-ci me semble quand même bien étroit au regard de la classe et du tempérament exceptionnel de la soprano italienne. Toutes quatre forment pourtant in fine l’un des quatuors les plus homogènes et les plus plaisants qu’il m’ait été donné de voir et entendre sur une scène.

 

Le versant masculin de la distribution proposait également un Ford et un Fenton de luxe. Le premier, Ludovic Tézier, trouve un rôle naturellement adapté à ses moyens et à son tempérament. La voix est belle, le chant impeccable, et l’acteur, très présent, se révèle mieux que convaincant. Le second, Francesco Meli, confirme une fois encore dans ce rôle modeste toute sa présence naturelle et son talent. La voix est somptueuse, fluide et joliment timbrée, les phrasés élégants et sans scorie. Si le ténor domine de sa puissance vocale les ensembles du premier acte, il prend pourtant soin à maîtriser un volume significatif lors de ses duos avec Nanetta ou ses interventions individuelles. Enrico Facini (Cajus), Frederico Sacchi (Pistola) et Patrizio Sandelli (Bardolfo) complètent l’affiche avec bonheur.    

 

Le plaisir de cette matinée n’aurait très certainement pas été le même en l’absence d’un chef inspiré et virtuose dans la fosse. Alain Altinoglu confère à la représentation tout l’esprit et la vivacité auxquels se refuse la mise en scène. Sa direction est admirable de fluidité, savamment dosée, toujours imaginative et détaillée. Alain Altinoglu obtient tout au long de l’ouvrage une légèreté savoureuse et finement ciselée d’un Orchestre de Paris irréprochable. Cette direction étonnante contribue de manière notable au succès d’une représentation somme toute bien plaisante à défaut d’être véritablement marquante.

 

Pour un autre avis, plus enthousiaste, je renvoie à la critique de Licida qui a pour sa part assisté à la représentation du 27 juin.

 

 

Publié dans Saison 2007-2008

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