The Fly, Châtelet, 13/07/2008

Publié le par Friedmund

 

J’ai senti comme un certain mépris de la critique et de quelques esprits aiguisés envers cette création aux parrains prestigieux. A tort plus qu’à raison à mon humble avis. Si le répertoire semble aujourd’hui figé, c’est aussi du fait d’une création contemporaine souvent confinée dans un élitisme musical et intellectuel peu à même de passionner les foules. De la science-fiction, une histoire déjà popularisée par un film à la large audience, un metteur en scène et un musicien en droite provenance d’Hollywood ? Fi ! Ce serait oublier que bien des standards du répertoire lyrique ne brillent pourtant ni par l’intelligence de leur propos, ni par la qualité intrinsèque de leur musique ; et qu’on se situe bien là à un tout autre niveau.

 

Les thèmes de fond de The Fly sont d’une richesse intellectuelle et d’une pertinence humaine rares à l’opéra. Leur actualité demeure certaine voire plus pertinente que jamais : manipulation génétique, eugénisme, dérives technologiques d’une science sans limite… Le propos est loin d’être anodin, crucial même. David Harry Hwang tire de la nouvelle de George Langelaan un livret très proche du script du film primé à Avoriaz en 1987. Seule différence notable, l’usage du flash-back (les deux actes s’ouvrent sur l’enquête policière qui suit immédiatement le dénouement de l’intrigue). Le rythme de l’action est soutenu, alternant scènes à l’intérieur et à l’extérieur du laboratoire, une pointe d’humour surgit à l’occasion, et le livret contient peu de répliques inutiles ou redondantes. La limitation du nombre de personnages à trois principaux et trois secondaires fait le reste et contribue à la réelle densité et tension de ce drame passionnant.

 

L’équipe scénique nous convie à un grand et beau spectacle. La mise en scène de David Cronenberg est d’une grande efficacité. Les transitions sont animées, les scènes de foule colorées et agitées, la direction d’acteurs sans outrance et toujours travaillée. Le jeu des principaux interprètes est d’ailleurs remarquable de crédibilité, dans la sensualité comme dans l’effroi. Le décor unique de Dante Ferretti, le laboratoire, et les très beaux jeux de lumières (AJ Weissbard) et effets spéciaux (Stephan L. Dupuis)  participent à l’atmosphère lourde et étrange qui émane de la scène. Les costumes de Denise Cronenberg plongent l’intrigue dans des 50s nécessairement évocateurs pour tout amateur de Science-Fiction. Le tout fonctionne admirablement bien et maintient en permanence l’intérêt.

 

La principale qualité de la partition de Howard Shore est sans doute l'efficacité de sa puissance sonore, qui se révèle souvent aussi prenante qu'elle peut être déferlante. L’écriture est avant tout large et symphonique, bien rythmée mais peu variée dans sa dynamique d’ensemble et sa structuration des pupitres. Les voix sont traitées sur un principe général de conversation en musique, mais le compositeur ménage quelques beaux moments de lyrisme, pour Veronica particulièrement. Le flot musical ne se relâche jamais et contribue à l’intensité générale du spectacle. Peu d’audaces formelles ou harmoniques sous la plume de Shore, ni inspiration mémorable, aucun recours à l’électronique non plus, mais une partition accessible et prenante, jamais lassante ni ennuyeuse, qui sait mettre en valeur les ressorts dramatiques du livret, et accompagne avec force le drame et les émotions des différents personnages. Assurément pas la partition du siècle, mais rien d’indigne non plus, loin s’en faut.   

 

L’exécution musicale brille avant tout par un trio remarquable de chanteurs. Daniel Okulitch campe un Seth Brundle tout en subtilité musicale et scénique. Le baryton donne vie à son texte et à son personnage avec beaucoup de classe, et si la voix a parfois du mal à passer la rampe d’un orchestre déchaîné, le musicien est lui sans faute, et l’acteur étonnant. A ses côtés, Ruxandra Donose incarne une Veronica Quaife passionnée et vibrante, aux moyens amples, au timbre magnifique, et au chant très émouvant, pathétique même en seconde partie. J’espère recroiser ce beau tempérament et cette superbe voix prochainement à Paris : cette jeune mezzo roumaine, qui vient de chanter Octavian à Berlin, me semble promise au plus bel avenir. Belle prestation également de David Curry, ténor net, intense et très lyrique à la fois dans le rôle de Stathis Burans, bien servi par le compositeur. Jay Hunter Morris confère beaucoup de relief au rôle secondaire de Marky, alors que Lina Tetruashvili (Tawny) et Beth Clayton (Female Officer), plus effacées vocalement, offrent des présences scéniques bien caractérisées.

Dans la fosse, Placido Domingo emporte son orchestre avec beaucoup de chaleur et de lyrisme mais peu de nuances. La rondeur et la qualité des pupitres du Philarmonique de Radio France font le reste pour conférer une beauté certaine à cette lecture expressive et riche en pathos, parfois même aux accents pucciniens. Les chœurs du Châtelet et du CCR d’Aubervilliers assurent également leur partie sans défaillance.

 

Je ne saurais cacher le plaisir que j’ai pris à cette matinée fort plaisante, toujours intéressante et jamais ennuyeuse. La production dans son ensemble y est pour beaucoup et le pari du trio Shore-Cronenberg-Domingo me semble largement gagné. A tout prendre, le résultat vaut bien en intérêt quelques poussiéreuses niaiseries parfois programmées à l’affiche, et qui faisaient déjà sourire nos aïeux. L’accessibilité du spectacle pourrait même justifier une timide entrée au répertoire de quelques théâtres en quête de renouvellement. Car tel est l’enjeu des créations contemporaines : perdurer à l’affiche. Il est ainsi triste de constater que n’importe quelle antique croûte obscure ou bien justement oubliée, et la saison en fut pleine, toutes scènes parisiennes confondues, a aujourd’hui bien plus de chance d’apparaître au programme que, par exemple, le récent et acclamé 1984 de Lorin Maazel. L’opéra, art vivant... vraiment ?

 

 

Publié dans Saison 2007-2008

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