A propos de Sviatoslav Richter

Publié le par Friedmund

 


Attrapée au détour d’une lecture a priori peu musicale (Des hommes d’Etat de Bruno Le Maire, Grasset), cette belle anecdote que je vous livre brute de tout commentaire:

 

Le pianiste Sviatoslav Richter jouait pour la première fois à Moscou une sonate de Chostakovitch, qui se rongeait les sangs en l’écoutant en coulisses. Au finale, comme toute attente, le public se lève, applaudit à tout rompre, continue d’applaudir quand Richter file dans les coulisses pour retrouver Chostakovitch : « Tu vois c’est un triomphe ! » Chostakovitch, le visage gris et froissé, retire ses lunettes à triple foyer et les essuie lentement : « Ils veulent un bis de Chopin.»

 

S’il est un disque de Sviatoslav Richter qui ne me quitte jamais tout à fait, c’est bien le regroupement de trois prises live praguoises des sonates de Beethoven du maître. Dans le détail : l’Op. 90 de 1965, l’Op. 101 de 1986, et merveille des merveilles, l’Op. 106 de 1975. Le tout en un même CD publié par Praga. Complément idéal, dans un tout autre style, des trois dernières sonates de Rudolf Serkin captées à Vienne par DG. Le Beethoven de Richter ne ressemble à nul autre. Kempff avait pour lui son ineffable poésie, si délicate, Backhaus cette force impérieuse, souvent impressionnante de ton, Serkin son évidence chaleureuse et lyrique… Richter plaçait son expressivité avant tout dans le chant immédiat de son clavier. Sa Hammerklavier est toute de pudeur, du refus catégorique d’un pathos même à peine effleuré. Seule la musique a droit ici à donner de la voix. Et de quelle façon ! Les premiers accords de l’allegro sonnent sans se fracasser, de manière quasi ludique, puis se développent avec une vigueur toute d’énergie, sans coup de patte, d’une mécanique joyeuse, volubile. L’appassionato est certes con molto sentimento, mais d’un sentiment maîtrisé, noble, qui ne se répand pas, sans jamais pour autant paraître corseté. Abstrait peut-être, mais certainement pas froid tant le legato de l’artiste enveloppe et caresse sans cesse. Génial surtout. 

 

Publié dans Humeurs lyriques

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