1813-2013 : Marek Janowski, wagnérien en chef

Publié le par Friedmund

 

Sans la renommée clinquante de bien des stars de la baguette, Marek Janowski s’impose depuis plus de trente ans désormais comme l’une des baguettes les plus sûres et les plus constantes du répertoire wagnérien. Equilibrées et musicales, sobres et soucieuse d’un style fluide, ses lectures wagnériennes pourraient même être considérées comme un point d’équilibre parfait de ses partitions qui souvent déchainent l’imagination de chefs aux personnalités plus affirmées. De façon surprenante, bien peu de chefs osent d’ailleurs cette lecture classique, ce qui ne rend que plus appréciable et rare l’intérêt et la probité de l’approche du chef allemand. Alors qu’il enregistre actuellement l’intégrale des dix opéras majeurs du compositeur, et s’inscrire aussi comme le premier chef à graver un second Ring officiel, ces deux concerts inauguraux de l’année du bicentenaire Wagner sont un vrai cadeau fait par la salle Pleyel à son public. D’autant plus que Janowski retrouve à cette occasion ces pupitres du Philharmonique de Radio France qu’il porta 16 ans durant à leur meilleur. Inégaux, ces deux concerts démontrent tour à tour les immenses qualités du chef, mais aussi parfois ses prosaïsmes. Ainsi le premier concert du vendredi 4 janvier paraît souvent bien sage. L’ouverture du Fliegende Holländer est idéalement étagée entre les pupitres, d’une clarté d’ensemble confondante, mieux encore d’une élégance peu commune. Pourtant, le tempo parait un soupçon trop sage, la nervosité et la tempêtes trop absentes. Les deux préludes de Lohengrin sont idéalement châtiés aussi mais tout autant bridés. On apprécie pourtant la délicatesse de touche, l’écho subtil des bois et des cordes tout au long du duo entre Lohengrin et Elsa, donné ici en intégralité dans le prolongement du prélude du III. L’oreille est d’autant plus intéressée par l’orchestre que les deux chanteurs captivent peu : Stephen Gould claironne de son cuivre haut et puissant un Siegfried bien plus qu’un tendre et lyrique Lohengrin, alors qu’a contrario Annette Dasch, certes probe, ne peut nous faire oublier qu’elle est là à la limite de ses possibilités ; ce couple est de fait bien mal apparié.  La baguette du chef se tend un peu mieux en second partie pour une ouverture de Tannhäuser, enchaînée de la bacchanale, d’une belle beauté plastique même si l’ivresse manque encore à l’ensemble. Le prélude de Tristan sera lui magnifiquement enlevé, chaleureux et romantique, d’un souffle entraînant ; Violeta Urmana enchaîne alors d’une Liebestod puissante, trop sans doute pour qui attend ici d’une Isolde avant tout féminité, lumière et abandon.  

Le second concert le surlendemain s’ouvre d’une très bel Enchantement du vendredi saint, lumineux et clair, posé, d’un lyrisme tendre et délicieux. Comme Lohengrin précédemment, l’orchestre se déguste d’autant volontiers que les deux chanteurs n’illuminent guère de leur présence cette si merveilleuse page. Inoubliable Hollandais à Bastille, suprême Wotan, le rôle de référence d’Albert Dohmen dans Parsifal est plus sûrement l’Amfortas qu’il a longtemps chanté d’ailleurs plutôt que ce Gurnemanz avare de résonnance, de douceur et de profondeur, et même de caressante spiritualité. Un grand chanteur est indubitablement à l’œuvre, mais un grand Gurnemanz, vraiment ? Dans un registre plus médian, Stephen Gould lui donne la réplique avec moins d’emphase et de clairon dans la voix que l’avant-veille, et même une clarté et un métal souvent bienvenus. Un Siegfried-Idyll bien chantant, sans faute ni aspérité mais sans ravissement non plus clôt la première partie. Changement de ton pour la seconde partie et les trois extraits de Götterdämmerung, impressionnants de grandeur, de majesté, et qui font attendre avec hâte ce nouveau Ring discographique que nous doit le chef dans les prochains mois. Le Voyage de Siegfried sur le Rhin est sous la baguette de Marek Janowski une gourmandise épique, qui allie à la fois métal et puissance, le lyrisme et l’emportement, un idéal sonore parfait entre l’emportement et la clarté absolue des pupitres. Et contrairement à l’avant-veille, la baguette se fait ici nerveuse, énergique, sans rien perdre des équilibres merveilleux qu’obtient le chef, avec ci et là des ruptures de dynamiques saisissantes et rarement ainsi entendues. Jamais la puissance ne s’acquiert au prix du désordre ni de l’excès, jamais les couleurs et les détails à foison se paient d’un quelconque affadissement du propos. Les mêmes qualités parcourent une Trauermusik imposante, qui jamais ne sonne ni bruyante ni clinquante, alors pourtant que le souffle de l’ensemble est gigantesque, à la pleine hauteur de la saga. La scène de l’Immolation sera à la même hauteur, grandiose, enchevêtrant leitmotiv sur leitmotiv d’une seule pièce, mais toujours avec cette lisibilité parfaite des pupitres si caractéristique du style Janowski. Violeta Urmana se jette avec vaillance dans la bataille et convainc par la fierté de l’émission et le roc de la voix, tant bien même l’émotion qu’elle génère est avant tout strictement vocal – mais quelle voix tout de même ! Au moment des ovations fournies qui concluent le concert, le bonheur est alors tout simplement parfait.


Publié dans Saison 2012-2013

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