Il Prigioniero, Garnier, 10/04/2008

Publié le par Friedmund


Excellente initiative de l’Opéra de Paris que programmer ce beau Prigioniero de Luigi Dallapiccola. A le découvrir avec bonheur en ce soir de première, je ne peux que m’interroger sur son absence si étrange de la scène lyrique. La modernité de la partition, adoucie par un lyrisme tout italien, me semble fort accessible, et le livret, tiré de La Torture par l’espérance d’Auguste  de Villiers de l’Isle-Adam, nous narre une histoire essentielle qui ne cesse de se répéter. Le metteur en scène, Luis Pasqual, ne s’y trompe pas et met en perspective les geôles de l’Inquisition espagnole du seizième siècle avec quelques prisons de guerre contemporaines : tour métallique circulaire et creuse, soldats en treillis urinant sur un détenu pendu par les pieds à la torture, prisonniers à quatre pattes tenus en laisse à qui l’on impose des jeux sadiques… La référence aux tortures perpétrées par l’armée américaine à Abou Ghraib est évidente ; le Prisonnier est d’ailleurs finalement exécuté d’une injection létale par son sadique geôlier. Ce cadre fort pertinent posé, reconnaissons à Luis Pasqual de raconter son histoire avec une direction d’acteurs allant à l’essentiel, sans artifice, linéaire et très au premier degré. Cela fonctionne naturellement, mais je ne peux m’empêcher de penser qu’avec un tel sujet cette œuvre offre un potentiel scénique sans doute bien supérieur. Du bon travail toutefois, qui a sans doute pour principal défaut de s’inscrire dans la continuité d’un printemps qui nous a offert tout juste auparavant les magnificences scéniques de Py, Warlikowski et Marthaler.  

 

Les trois principaux interprètes investissent à la perfection leurs rôles en scène, mais demeurent vocalement en deçà à mon sens de la puissance émotionnelle requise par leurs parties respectives.  Evgeny Nikitin habite son rôle de manière très satisfaisante, mais ne bouleverse réellement à aucun moment. Rosalind Plowright s’investit avec énergie dans son rôle de mère en quête d’une dernière rencontre, mais si la voix demeure sonore, je l’ai trouvée privée de réel impact émotionnel. Chris Merritt est un criminel glaçant, à la présence inquiétante. Le charisme de l’acteur fait merveille, et le chanteur adopte des accents qui font plus d’une fois froid dans le dos. Pour autant, la santé vocale du ténor semble encore s’être dégradée depuis ses tristes Eleazar parisiens : la voix sonne désormais étriquée, réduite, et la ligne présente des instabilités qui semblent devenues désormais incontournables par cet interprète subtil. Il n’en demeure pas moins que c’est bien à lui qu’on pense en quittant le théâtre. Si la scène est musicalement très convaincante à défaut d’être enthousiasmant, la fosse est elle superlative. A la baguette, Lothar Zagrosek obtient des merveilles de l’orchestre de l’Opéra. De scène en scène, les climats orchestraux, fort variés, sont fantastiquement rendus et savamment équilibrés : la lisibilité de cette  partition riche en couleurs est parfaite ; le lyrisme généreux de Dallapiccola toujours présent et chaleureux, sans aucun excès ni tonitruance. Surtout, la pâte orchestrale obtenue des pupitres par Lothar Zagrosek est d’une beauté constante, souvent poétique, toujours éloquente et émouvante.

 

Le spectacle fait précéder l’opéra de Dallapiccola d'une mise en scène minimaliste de la contemporaine et ironique Ode à Napoléon d’Arnold Schönberg. Le réquisitoire sardonique et brûlant  de Lord Byron mis en musique par Schönberg s’inscrit ainsi avec justesse et pertinence en prologue du Prisonnier.  Le numéro de Dale Duesing, en travesti de cabaret se démaquillant et s’effeuillant de sa tenue de scène, est sensationnel et confère au poème de Byron une dimension inattendue. La présence de ce récitant, inattendu et haut en couleur, incongru de prime abord, prend progressivement tout son sens : derrière le démaquillage du travesti se lit l'avenir sombre de prisonnier dont il revêt la tenue. Entartete Musik et homosexualité : crimes sans appel sous le régime nazi... L'impact de ces images est certain, la réalisation parfaite. Au-delà de ces aspects scéniques, la verve du baryton américain est admirable et son sprechgesang de haute tenue met en lumière avec beaucoup de soin et d’éclat le texte. Excellent accompagnement également du quatuor à cordes et du piano, placés sur scène sous la direction attentive et convaincue de Lothar Zagrosek.

Publié dans Saison 2007-2008

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